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Vendée. Ces drames vécus Episode 3: un assassinat perpétré à la gare des Sables-d’Olonne

Les Sables-d’Olonne Vendée. Ces drames vécus
Episode 3: l’assassinat de la gare

 

Lundi 13 novembre 1899
Au moment de son départ, la foule massée sur les quais, augmentée par les poissonnières ayant fini leur journée, renouvela avec vigueur les cris de « A mort l’assassin ! ».
Sans la présence de la gendarmerie et de la police qui le protégeait, la foule lui aurait certainement fait un mauvais parti.
Le misérable contre lequel la foule lance des cris de vengeance s’appelle Louis-Victor Charret.
Une perquisition vient d’avoir lieu, en sa présence, à son domicile situé Quai de la Poissonnerie: M. Daurensan*, juge d’instruction, dirigeait les opérations, accompagné du Procureur de la République.
Y assistaient également M. Pogu, commis-greffier, le lieutenant de gendarmerie et le commissaire de police.
(* Il s’agit de Romain Daurensan; né à Rochefort-sur-Mer, le 3 novembre 1864. Juge aux Sables d’Olonne, à Valence, président à Lombez, Cahors; conseiller à Lyon, et président du Tribunal civil de Saint-Etienne).

Quai de la Poissonnerie – Les Sables d’Olonne

 

Photo Quai de la Poissonnerie

L’affaire remonte au mercredi 8 novembre 1899 aux Sables d’Olonne
Louis-Victor Charret est né le 2 août 1834 à Saint-Julien-sur-Reyssouze dans l’Ain. Il a 65 ans et après une longue carrière militaire dont quelques années, à partir du 28 juillet 1878, à La Roche-sur-Yon pour l’Etat-major du génie. Il fut alors Commandant du 11ème Bataillon territorial du Génie.
Il est a
dmis à la retraite du 2ème Génie le 13 mars 1884 et rayé des cadres le 10 mai de la même année.
Et depuis, il vit aux Sables d’Olonne, résidant quai de la Poissonnerie.

 

Clemenceau sur le quai de la Poissonnerie – Les Sables d’Olonne

Clemenceau sur la Quai de la Poissonnerie

Sachant sa femme Gabrielle en voyage pour quelques jours, il avait plusieurs fois envoyé sa bonne s’enquérir du jour de sa rentrée.
Comme la chose paraîssait délicate, vu qu’il vivait séparé, la bonne chargea une de ses amies de le demander à la femme de chambre de Mme Charret

Il avait appris qu’elle rentrerait de Paris en début de semaine, et depuis le lundi 6 novembre il suivait régulièrement l’arrivée de tous les trains du soir en gare des Sables.
Il usait alors de la possibilité que la compagnie des chemins de fer de l’Etat concédait, pour deux sous, à ceux qui désiraient attendre près de la voie.
Depuis deux jours, M. Charret traversait donc la salle d’attente intérieure et allait prendre place sur un banc situé sous la marquise sur le quai de débarquement. Cette attente quotidienne aurait pu éveiller des soupçons, mais personne n’y prit garde.
En ce mercredi 8 novembre 1899, M. Charret est assis à la même place depuis quelques minutes quand le train fit son entrée en gare. Sur le même trottoir, la bonne de Mme Charret attendait sa maîtresse qui devait arriver par le train de 19h30 !
Et l’agent de police Picorit et le gendarme Dubois, de service à la gare, se promenaient en bavardant.

 

Georges Buet, notaire aux Sables-d’Olonne
Coll. num. Le Reporter sablais

 

L’arrivée du train en gare des Sables
Georges Buet, notaire aux Sables d’Olonne, et son épouse Marie, se trouvaient dans le même train que Mme Charret. Ils venaient de Ste-Hermine* où un professeur du collège Fénelon de La Rochelle avait amené leur jeune fils.
(* Georges Buet, notaire aux Sables d’Olonne, était né à Beauregard. Il avait épousé Marie Landois fille du maire de Ste-Hermine, Pierre Landois.)

 

Les omnibus devant les hôtels – Ici l’hôtel du Remblai et de l’Océan – Les Sables d’Olonne


Les fiacres omnibus devant les hôtels, ici l’Hôtel du Remblai et de l’Océan

Mme Gabrielle Charret paraît alors, le corps penché en dehors d’une portière d’un wagon de seconde classe.
Louis-Victor Charret aperçoit sa femme, mais il reste pour l’instant impassible.
Mme Charret rencontrant ses amis Buet sur le quai, à la descente du train, elle les accompagna en causant vers le sortie.
Elle passa devant son mari sans se proccuper de sa présence, ou peut-être ne l’a-t-elle pas vu, caché par la présence d’autres voyageurs ou occupé par sa conversation.
M. Charret se leva alors, sans hâte, et d’un pas automatique se dirigea vers la sortie tout en s’approchant de sa femme; soudain, Mme Charret sentit une main peser sur son épaule. Elle se retourna et vit son mari qui la suppliait à voix basse de lui accorder un court entretien particulier. Sans répondre, Mme Charret continua son chemin et s’éloigna avec les époux Buet.
A la sortie de la gare, elle remit au garçon de l’omnibus Billerot son bulletin de bagages pour que ceux-ci soient portés à son domicile.

 

 

Des omnibus sur le Remblai des Sables d’Olonne, transportant passagers et/ou bagages

 

Omnibus Billerot Les Sables d’Olonne

 

M. et Mme Buet se trouvaient encore sur le trottoir causant avec d’autres voyageurs. Amis et membres des familles, venus attendre les passagers, se trouvaient dans la cour de la gare. Tous se dirigeaient lentement vers la ville, et Mme Charret se trouvait peu éloignée d’eux.

La Cou de la gare des Sables d’Olonne et les fiacres omnibus vers 1900

Photo extérieure de la gare. Cour de la gare vers 1900.


Gabrielle Charret remonta pour rejoindre les Buet et le petit groupe, après avoir remis son bulletin de bagages.

Mais M. Charret, poursuivit lui aussi le même chemin menant de la gare vers le centre ville, laissant son épouse prendre une avance de quelques pas.

 

Six coups de révolver Lebel
Au moment où Gabrielle Charret allait atteindre ses amis, Louis-Victor Charret tira de sa poche son revolver d’ordonnance Lebel – d’une portée d’environ 25 mètres avec des balles de 8mm – et fabriqué à la Manufacture d’armes de St-Etienne – et en déchargea d’un tir continu les six coups. Alorrs que les détonations retentirent successivement, des cris d’angoisse s’élevèrent de tous côtés.

Revolver d’ordonnance 8mm Lebel – 6 coups

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Un cri « ah! mon Dieu ! » sortit de la poitrine de Mme Charret.
Plusieurs balles, au moins quatre, frappèrent Mme Charret.
Mme Charret, blessée, s’enfuya éperdue.

Mais, elle ne fut pas la seule atteinte: il y eut au total quatre victimes. Les époux Buet, atteints par les projectiles, s’affaissèrent.
Georges Buet, le notaire, fut atteint d’une balle dans les reins.
Tandis que son épouse, Marie, fut touchée par une balle à la hanche droite.
Plus loin le douanier Baudrier, venu avec son fils en spectateurs à l’arrivée du train, tomba au sol la cuisse droite traversée par une balle perdue.
La dernière balle alla frapper les vitres du café-concert Théau / Café National, situé en face de la Gare.

Le barillet du revolver ne pouvant contenir que six balles – et non huit – , il est certain que les deux balles Lebel ayant frappé M. et Mme Buet avaient traversé précédemment le corps de Mme Charret.
L’ne des balles fut trouvée par un des typos de presse présent sur le lieu du crime: légèrement écrasée à la partie inférieure, elle était enveloppée d’une chemise de cuivre rouge, et fut mise à la disposition des magistrats instructeurs.

Les détonations semèrent l’effroi parmi les voyageurs qui quittaient la gare, parmi les promeneurs et les agents des omnibus ou de la gare. Autour de la gare, les consommateurs des cafés furent surpris par ces bruits de coups de feu inhabituels.
Six coups de révolver, quatre victimes, dont deux blessés très griévement, tel est l’acte fou commis par M. Charret.

Café Français Avenue de la Gare Les Sables d’Olonne

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Une balle dans les carreaux du café

La balle traversa une vitre du Café National, situé face à la gare avec son café-concert Théau, et vint s’aplatir sur le piano frôlant l’accompagnatrice, alors que la pianiste Mme Pary était en train de jouer.
Celle-ci s’étant trouvée mal, s’est évanouie !
(Note de la Revue: il est fort probable, en raison de son emplacement Avenue de la Gare et de sa superficie nécessaire pour un café-concert que le Café National soit devenu le Café Français, dont on peut voir la photo ci-dessus. Il correspond à l’emplacement actuel du Cafe Le Départ puisque Charret tira alors que les voyageurs remontaient de la gare vers la ville).

Etaient présents des artistes lyriques du Concert National*, notamment MM. G. Pary et Abel Perronnet.
(*Concert national: En 1873, Edouard Colonne créa le « Concert national » qui donnait ses récitals à l’Odéon.
Il connut tout de suite un immense succès, ce qui lui permit de louer le Châtelet, plus vaste, et de transformer le Concert national en Association artistique. Colonne dévoua toute son activité au service de Berlioz et de Beethoven. Fonctionnaient alors simultanément les Concerts du conservatoire, les Concerts Dambé, les Concerts de la Société philarmonique de Paris, les Concerts Frascati).

 

Gabrielle Charret fut transportée à la pharmacie
Mme Charret, défaillante, soutenue par plusieurs personnes dont Abel Perronnet, alla se réfugier à la pharmacie Duclos (située sur l’avenue de la Gare, devenue plus tard Pharmacie de la Gare / Guédon) pour y recevoir les premiers soins. Revenue de son évanouissement, elle fut reconnue atteinte plus gravement qu’on eût pu le croire tout d’abord; on lui fit des pansements sommaires puis de là, suivie par quelques personnes, elle se rendit à son domicile, situé rue Marceau, où elle s’alita.
On constata qu’elle avait été atteinte de quatre balles: une au bras droit, deux à la poitrine et une autre au bas ventre, certaines blessures étant mortelles.

 


Grave blessure pour Mme Buet

Georges et Marie Buet, ne se croyant que légèrement blessés, se rendirent chez leur médecin habituel, le docteur Canteteau; accompagnés de celui-ci, ils regagnèrent à pied leur domicile situé sur le Cours Blossac.
Sur le chemin, on leur témoigna de nombreuses marques de sympathie.
Georges Buet avait été atteint d’une balle; une exploration était projetée pour trouver la balle qui l’avait frappé et avait pénétré assez avant dans les chairs; le docteur Gaston, de Vairé, avait été appelé pour trouver, par la radiographie, le projectile; mais les appareils radiographiques n’avaient pu être transportés aux Sables d’Olonne à cause de leur extrême sensibilité.
Georges Buet souffrait d’une fièvre ardente mais selon le médecin il était hors de danger, et le samedi 11 novembre 1899, il put se lever et se promener dans la cour de sa maison.

Par contre, on s’aperçut que la blessure de Mme Buet était grave, la balle entrée dans la hanche droite avait perforé les intestins, mettant ainsi ses jours en danger.
Le chirurgien Poisson, de Nantes, mandé par télégraphe, arriva à 1h du matin. Il constata ainsi que les médecins des Sables l’avaient fait, que l’intestin avait été perforé par la balle mais en raison de l’heure nocturne il différa toute exploration.
Le lendemain, aucun des médecins présents n’osa encore se prononcer sur l’état de gravité de la blessure malgré le constat d’une légère amélioration dans l’état général de la blessée. Les docteurs Canteteau, Gaudin, Andreau et le chirurgien M. Poisson, du fait de cette légère amélioration, décidèrent qu’aucune opération n’aurait lieu quant à présent.

L’un des journalistes de l’époque, peu favorable à la chirurgie, tint à féliciter ces médecins.
« Deux médecins, Messieurs Buet et Landais, parents de M. et Mme Buet, se joignirent aux consultants. Ces messieurs jugèrent, avec toute la maturité que donne la vraie science, qu’il n’y avait pas lieu à une opération. En cela il est permis de les féliciter de leur réserve, car le monde recherche naturellement les merveilleux exploits de la chirurgie. Ils ont donné une leçon à cette légion de poseurs dont l’ignorance vaniteuse est à l’affut d’opérations souvent inopportunes. Ils ont le monopole des surprises mortifiantes, et il n’est mois ni semaines où le public ne signale leurs mésaventures.
L’art de se faire valoir leur tient lieu de valeur. Ils sont spécialistes en tout genre; mais ils ont surtout la spécialité des bévues. Bien au contraire, l’éminent chirurgien, M. Poisson, et ses très distingués confrères ne charchaient pas le bruit: la confiance et la sympathie publique leur venaient spontanément. »

Mais, le samedi 11 novembre 1899 à midi, elle se vit administrer les derniers sacrements, « et ce ne fut plus à sa porte qu’une longue théorie d’amis qui vinrent, éplorés, prendre des nouvelles de celle que les pauvres connaissaient si bien pour avoir si souvent senti les effets de son inépuisable charité ».
L’état de Mme Buet resta pendant plusieurs jours très grave.
L’amélioration signalée, les mardi 14 et et mercredi 15, dans l’état de Mme Buet, et qui avait décidé les médecins à ne pas exposer la blessée aux risques d’une opération, ne s’était pas maintenue, un état fiévreux survenant. Mme Buet se plaignait de violentes douleurs dans les reins, on crut à la présence d’un phlegmon. Le chirurgien Poisson, de Nantes, fut donc rappelé jeudi.
Le chirurgien Poisson, assisté de nombreux spécialistes, pratiqua une opération: une large ouverture fut pratiquée dans le flanc droit, et le trajet du projectile fut exploré jusqu’à une profondeur de quatorze centimètres, la prudence commandant de ne pas aller plus loin. Mais on ne trouva trace, ni de phlegmon ni de projectile.
Cette opération soulaga la blessée; la fièvre tombée, Mme Buet put prendre des aliments, mais le repos le plus complet fut prescrit par les médecins.

Le 14 novembre 1899, Georges Buet envoya une note à la Presse pour publication – Monsieur le Directeur,
Ne pouvant remercier et rassurer individuellement toutes les personnes qui se sont intéressées à la santé de Madame Buet et à la mienne, à l’occasion des blessures que nous avons reçues, dans le drame du 8 novembre, à la gare des Sables, j’ai l’honneur de vous demander l’insertion de ces quelques mots dans votre estimable journal:
« Monsieur et Madame Buet remercient de tout coeur, les personnes qui se sont intéressées à eux pendant ces tristes journées; ils ont été très sensibles aux nombreuses marques de sympathie qu’ils ont reçues.
L’état de Mme Buet donne bon espoir; celui de M. Buet est aussi satisfaisant que possible. Recevez l’expression de mes sentiments les plus distingués »
L’un des organes de presse indiquait: « M. et Mme Buet sont si estimés et comptent tant d’amis. Par sa haute honorabilité, et par l’importance de son étude M. Buet occupe dignement une place de premier rang dans le monde des affaires de notre département.
Mme Buet, bonne entre toutes, associée à toutes les oeuvres de charité, captivant par son affabilité, sa simplicité toute chrétienne, la bonne grâce de son accueil, elle n’a que des amis ».

 

Le douanier Baudrier
Atteint d’une balle à la cuisse droite, il fut transporté à son domicile non loin de là puisqu’il demeurait près de la gare. Son fils, qui le suivait, dans un état d’exaltation, promettait de faire un mauvais parti au meurtrier après que les agents et des spectateurs se soient interposés entre lui et le meurtrier.
Le lendemain, jeudi, il allait aussi bien que possible malgré les fortes douleurs ressenties. La balle qu’il avait reçue dans la cuisse a pu être extraite par les soins des docteurs Gaudin et Canteteau et son état fut alors considéré comme satisfaisant. Cette balle était aplatie sur un côté, ce qui prouverait qu’elle a dû faire ricochet avant d’atteindre M. Baudrier.
A son domicile, il fit le récit de la scène du meurtre dont il avait été l’une des malheureuses victimes:
« Mercredi soir, comme d’habitude, je me promenais avec mon fils aux abords de la gare, quand j’entendis le bruit de quelques détonations d’une arme à feu.
« Je n’eus le temps, ni de la réflexion, ni celui de me porter à l’endroit d’où elles partaient: je venais moi-même d’être blessé à la jambe gauche par une balle perdue.
« Je tombais aussitôt, pour être ensuite transporté à mon domicile avec l’aide des gendarmes qui se trouvaient là.
« Du sang, j’en ai perdu à flots, au point que cette dépardition m’a fatigué énormément.« 

 

Le meurtrier fut arrêté: retour sur la scène du crime
Attiré par le bruit des coups de feu, l’agent Picorit se précipita, se saisit du meurtrier qui ne fit aucune résistance et le désarma (le barillet était cependant vidé).
Puis le gendarme Dubois accourut, accompagné de deux de ses collègues qui avaient pris le train à Olonne-sur-Mer après une tournée à Vairé.
Louis-Victor Charret fut conduit au bureau de police.
Arrivé au commissariat, M. Charret déclina son état-civil puis, durant l’interrogatoire sommaire, il se renferma dans un mutisme absolu.
Très calme, très froid même, M. Charret écouta les questions qui lui étaient posées par le Commissaire, mais sans répondre toutefois à aucune d’elles, se bornant seulement à dire qu’il s’expliquerait devant la Cour d’assises.
Devant le mutisme voulu de M. Charret, il n’y avait plus rien à faire que d’avertir le Procureur de la République* (*Il s’agissait du Procureur Mauléon), ce qui fut fait séance tenante.
Conduit au Parquet – au Palais de Justice des Sables -, en présence du  magistrat, le meurtrier conserva la même attitude, et de plus en plus impassible Charret refusa à nouveau de répondre, déclarant seulement qu’il avait accompli une exécution judiciaire, ne voulant que venger son honneur et répétant que jusqu’à sa comparution en Cour d’Assises il n’avait aucune explication à fournir.
Vers 22h, on le transfèra à la maison d’arrêt des Sables d’Olonne où il fut écroué.
Dans la soirée, le Parquet descendit sur le théâtre du crime et ouvrit immédiatement une enquête.

 

Prison des Sables d’Olonne

 

Photo de la prison des Sables d’Olonne.

Décès de Gabrielle Charret, née Casner
Gabrielle Charret, née Gabrielle Casner à Sain-Mihiel (Meuse), victime choisie par l’assassin, fut atteinte par quatre balles dont au moins une mortelle par son emplacement, en effet l’une se logea dans le bas ventre produisant quatre perforations intestinales très larges: il n’y avait donc aucun espoir de la sauver. Une autre balle lui a fracassé le bras droit, et deux autres l’ont traversé de part en part au niveau de la poitrine et ont touché ensuite les époux Buet.
L’une des balles avait traversé le lobe inférieur du poumon droit, le diaphragme, et labouré la face inférieure du foie.
Gabrielle Charret fut le lendemain « à toute extrêmité »; puis elle n’a pas survécu comme il était prévisible. Agée de 51 ans, elle s’est éteinte le lendemain, jeudi 9 novembre 1899 vers 16h00, après avoir reçu les derniers sacrements. Les soins prodigués à Mme Charret par le docteur Gaudin, médecin du ménage Charret, et qui s’était adjoint le docteur Canteteau, ont donc été inutiles.
Ce terrible drame vient donc d’avoir un dénouement tragique.

 

Acte de décès de Gabrielle Charret née Casner © Sources Archives de la Meuse

 

Acte de décès de Gabrielle Casner, signé par le député-maire des Sables d’Olonne Fernand Gautret

Gabrielle Charret était la fille de François-Sébastien Casner, ancien directeur-propriétaire du journal Les Affiches de la Meuse, décédé il y a quelques années. Celui-ci s’était fait connaître des tribunaux pour une annonce fausse et intempestive dans son journal.

Affiches de la Meuse, journal fondé par François-Sébastien Casner

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Jugement François-Sébastien Casner

Condamnation de Casner père

La mère de Gabrielle Casner, Marguerite Casner, née Quenette, habitait apparemment aux Sables d’Olonne depuis quelque temps et avait donc le plaisir de se trouver proche de sa fille.


Quel mobile pour cet assassinat ?

Le crime sanglant – et apparemment l’assassinat* – épouvantable qui venait de se produire jeta la consternation aux Sables d’Olonne, une ville d’ordinaire assez paisible.
(* Un assassinat est un meurtre prémédité).
Louis-Victor Charret avait des états de service militaires assez élogieux. Il avait reçu les insignes d’Officier de la Légion d’Honneur.
Mais il avait été touché dans son honneur par une décision judiciaire qui, à cette époque, était peu acceptable pour une personne de son rang: son épouse Grabrielle Charret avait obtenu de la justice une séparation de corps et de biens*, deux ans auparavant.
(*La séparation de corps met fin à l’obligation de vie commune des époux sans remettre en cause les liens du mariage. Elle permet ainsi à deux personnes mariées de ne pas vivre sous le même toit sans pour autant divorcer).

Mais surtout, il semblerait – selon l’une des sources – qu’après avoir obtenu la séparation de corps et de biens, elle souhaitait obtenir le divorce.
Partout aux Sables d’Olonne, des groupes se formaient où l’on discutait véhémentement sur les motifs qui avaient pu pousser l’assassin à commettre cet inqualifiable attentat. « L’émotion parmi la population sablaise s’accrût encore lorsqu’on apprit que l’acte de ce misérable mettait en danger la vie de deux autres personnes. »

La presse indiquait qu’en se mariant à l’âge de 16 ans, Gabrielle Charret née Casner avait apporté en dot une somme de 200.000 frs.  Et qu’après la mort de son père, M. Casner, elle hérita des propriétés qu’il possédait à Saint-Mihier (Meuse), et d’une rente de 25.000 frs.
Mais, depuis la séparation de corps et de biens prononcée en faveur de Mme Charret, l’assassin en avait été réduit, pour vivre, à sa seule pension d’ancien officier. Il ne pouvait plus mener la vie joyeuse avec les femmes, le jeu et les voyages. Sa séparation de biens lui valut d’être privé de ces revenus.
Le crime de Charret n’était donc, pour la presse de l’époque, qu’une vengeance préméditée.
La presse précisait aussi que « Mme Charret jouissait de l’estime publique aux Sables d’Olonne, qu’elle était très charitable et très aimée de ceux qui l’entouraient.
L’assassin, au contraire, avait peu de sympathie; il se promenait constamment seul et menait une vie de débauche.« 

 

Un groupe de Sablais s’était d’ailleurs ému du contenu d’un des articles paru dans Le Petit Parisien.
Le texte – que nous avons retrouvé – indiquait:  « Un honorable habitant de notre ville, M. Louis Charret (…). Sur ces entrefaites le train entrait en gare et la dame Charret descendait (…). Sans répondre, la dame Charret continua (…).
Il était toutefois mentionné plusieurs fois « Mme Charret » et marqué plus loin: « M. Louis Charret, qui venait d’accomplir, mû par une fureur jalouse, ce terrible forfait, restait sur place, impassible (…)« .

Ce groupe de Sablais n’avait pas apprécié ce « brevet d’honorabilité » à Charret. Il envoya donc une communication de protestation au Directeur.

« Monsieur le Directeur du journal le Petit Parisien,
En lisant, dans votre journal, le compte-rendu du drame qui a si légitimement ému la population sablaise, nous avons été surpris et indignés de voir que l’assassin y était traité « d’honorable » et la malheureuse victime appelée « la dame Charret ».
Ces épithètes déplacées pourraient égarer vos lecteurs sur le caractère des personnes en cause. Le commandant Charret menait, depuis plusieurs années, une vie scandaleuse et madame Charret, qui jouit aux Sables et à La Roche-sur-Yon de l’estime générale, avait dû demander la séparation et l’avait obtenue en sa faveur.
Nous comptons donc sur votre impartialité pour insérer cette lettre, et si vous aviez besoin d’être plus éclairé, il vous suffirait de lire le récit des journaux des Sables où le titre d’honorable n’est certainement pas accordé à l’assassin.
signé: Un groupe de Sablais

Et l’un des journaux en profita pour rappeler certains conflits entre le maire des Sables d’Olonne, Fernand Gautret, et la « bande habituelle »:
« La politique fait commettre aux sectaires des actes de folie. Nous ne pouvons nous empêcher de rappeler que, malgré les protestations nombreuses et indignées de nos amis, la « bande habituelle » avait imposé comme « président de distribution de prix à l’Ecole des Filles de La Chaume » Monsieur Charret que sa situation si difficile et si bien connue à cette époque devait plus que tout autre écarter de ces milieux !
Songez donc, il s’agissait d’ennuyer M. Gautret, et peu importait le reste. Triste ! Mille fois triste !
(Note de la Revue: Fernand Gautret fut maire des Sables d’Olonne du 17 mai 1896 au 21 novembre 1901: il ne se présenta pas en 1902 afin de faire une carrière dans l’administration coloniale; il devint gouverneur d’une entité coloniale en Asie. Conseiller général de mai 1896 à novembre 1910, et député de la Vendée de 1898 à 1902. Républicain indépendant, il fut professeur au Lycée de La Roche-sur-Yon).

 

La confrontation du vendredi 10 novembre 1899
Si la population était véhémente, la Presse sablaise n’était pas en reste: « Charret l’assassin gravit actuellement  les marches du calvaire vers lequel il s’est si délibérément dirigé: après le crime, le châtiment, horrible dans sa sauvage grandeur. Horrible, oui, et à moins d’avoir le coeur complétement atrophié, l’ignoble bandit doit aujourd’hui mesurer, dans toute son étendue, l’immensité de son crime. »

A 13h, Louis-Victor Charret fut extrait de la prison et conduit au Palais de Justice des Sables d’Olonne, entre deux gendarmes, les menottes qui enchaînaient ses mains étant dissimulées sous des gants jaunes clairs.
Arrivés près du Calvaire, au coin de la rue Travot et du Remblai, il demanda à ne pas passer devant le Café de la Plage. On n’en connaît pas la raison. Les gendarmes l’ont alors conduit en remontant vers la rue du Palais.

Une foule évaluée à un millier de personnes l’attendait et lui fit mauvais accueil: « huées, vociférations, cris de mort ! Rien ne lui fut épargné et jusqu’à la lie il a vidé le calice d’amertume. »
Ces incidents permirent de ne conserver aucune doute sur la nature des sentiments dont la population était animée vis-à-vis de lui.
N’ayant fait choix d’aucun avocat, il ne put être interrogé en vertu de la nouvelle loi sur l’instruction judiciaire.
A sa sortie du Palais, une clameur est sortie du sein de cette foule: « A mort l’assassin ! A l’eau le misérable ! »

En voiture à cheval – fiacres – , et au galop, on le conduisit alors rue Marceau où devait avoir lieu la confrontation avec le cadavre de sa victime. C’est alors que, dans le public, s’engagea une véritable course au clocher pour l’obtention des meilleures places à l’entrée du meurtrier.
Un journaliste raconte: « D’où j’étais placé – au premier étage de la maison Roy-Bazelais – j’ai pu voir de très près la patibulaire figure du tueur Charret. Engoncé dans le col de son pardessus, le chapeau enfoncé sur les yeux, emmitouflé dans son légendaire cache-nez, il m’est apparu tel un vulgaire rôdeur de barrières. »

Vers 15 heures le corps de Mme Charret fut descendu de la chambre mortuaire au premier étage vers une pièce au rez-de-chaussée aux fins d’autopsie, afin de faire constater que la mort de l’infortunée victime était bien le résultat de son crime. Charret fit preuve d’un cynisme révoltant, allant jusqu’à interpeller grossièrement des domestiques qui avaient été à son service.
Confronté avec le cadavre de son infortunée victime, trois question furent posées à Charret:
– Reconnaissez-vous votre femme ?
– Reconnaissez-vous être l’auteur de sa mort ?
– Avez-vous prémédité votre crime ?
Charret reconnaîtra le cadavre pour sa femme, avouera être l’auteur de sa mort mais restera muet sur la question de préméditation. Toujours, dira-t-il, il s’expliquera en Cour d’assises.

Puis, à un moment, il s’est agenouillé devant le cadavre et l’a embrassé sur le front; magistrats et assistants ont pu croire qu’il allait exprimer son repentir. Il n’en a rien été. Le misérable s’est écrié:
« Je suis certain qu’elle aura imploré mon pardon avant de mourir! ».

(Note de la revue: une autre version est parue dans la presse en 1899:
« Là, aussi froid que marbre, Charret s’agenouilla et cyniquement déposa un baiser sur le front de sa femme. »
– Tu auras sans doute reconnu tes torts avant de mourir », s’est écrié Charret!).

« Après le crime, la souillure. Décidément cet homme a toutes les impudences » écrira le journaliste.

Avenue de la Gare et Place de la Liberté – Les Sables d’Olonne


Avenue de la gare et Place de la Liberté, à deux pas de la rue Marceau.

Puis Charret reprit sa froide impassibilité.
C’en était trop ! On poussa Charret au dehors de la maison de la rue Marceau.
Mais une foule énorme entourait la voiture dans laquelle il devait monter pour retrouner à la maison d’arrêt, et une immense clameur retentit:
« – A mort ! à mort ! l’assassin ! » criait-on de toutes parts.
Charret ne donna pas le moindre signe d’émotion.
Il fut poursuivi par les cris de mort et les huées poussés par la foule – plusieurs centaines de personnes massées sur la Place de la Liberté – qui lui firent une véritable conduite de Grenoble*, et fut reconduit en voiture à cheval à la prison. L’émoi restait toujours très grand aux Sables d’Olonne au sujet de cet affreux drame de la gare.
(* Expression tombée en désuétude. Cette expression aurait plusieurs origines et daterait d’avant la Révolution française. Elle fait référence à plusieurs personnes qui se seraient faites chassées de la ville de Grenoble).

 

Les obsèques de Gabrielle Charret née Casner – samedi 11 novembre 1899
La cérémonie funèbre avait eu lieu dans l’église paroissiale de Notre-Dame-de-Bon-Port.

A 14h, bien que Mme Charret ne fut pas sablaise et que sa famille fut peu nombreuse, une foule considérable et recueillie suivit le convoi funèbre pour l’accompagner à sa dernière demeure, témoignant ainsi à la famille la très grande part qu’elle prenait à son immense douleur.
Rappelons que Mme Charret née Casner, était originaire de Saint-Mihiel (Meuse).
Dans le cortège, plusieurs représentants de la municipalité des Sables d’Olonne dont M. Gautret maire des Sables d’Olonne, plusieurs notabilités dont M. Péquin, conseiller général de la Loire-inférieure et ami de la famille, ainsi que les jeunes filles de l’orphelinat.
« Partout des fleurs et des couronnes à profusion, dernier et touchant souvenir à la mémoire de celle qui, toute sa vie, fut l’épouse fidèle du plus détestable et du plus tyran des maris. »

M. Fernand Gautret*, député-maire des Sables d’Olonne, a pris la parole sur la tombe encore ouverte de l’infortunée victime.
« Il n’est pas d’usage, je le sais, de prendre la parole sur la tombe d’une femme.
Cependant, pressé au cours même de cette cérémonie par la famille de la défunte, j’ai consenti, comme maire des Sables à dire tout haut ce que chacun pense à part soi.
J’ai eu l’honneur de connaître particulièrement Madame Charret et de pouvoir l’apprécier à La Roche-sur-Yon et ici. C’était une personne d’une moralité parfaite; ses qualités de coeur et d’esprit auraient dû forcer l’affection de son mari et lui rendre agréable le séjour au foyer.

La vie de Madame Charret fut un long martyre: un jour, lasse de souffrir elle résolut d’abandonner le domicile conjugal et vécut avec sa mère, approuvée par le sentiment unanime de la population.
Vous connaissez le drame.
Un ancien officier, décoré de la Légion d’honneur, a tué sa victime qui était sans défense.
C’était une femme. Cette femme était la sienne.
Quelle que soit la décision de la justice, l’assassin demeure écrasé sous le poids du mépris public.

Et vous, Madame, dormez votre dernier sommeil. Vous emportez avec vous la respectueuse estime de tous.
Que Madame Casner, votre pauvre mère qui vous adorait, sache bien que si elle désire rester parmi nous, non loin de votre tombe, dans cette ville paisible où deux crimes en un siècle furent commis par des étrangers*, elle ne trouvera que des amis animés du seul désir d’adoucir les soufrances imméritées d’une mère inconsolable, frappée dans ses affections les plus chères et les plus justifiées. »
(* Fernand Gautret: maire des Sables d’Olonne de 1896 à 1901. Ancien professeur au lycée de La Roche-sur-Yon, il fut conseiller général du canton des Sables-d’Olonne, et député de la Vendée de 1898 à 1902).
(* Par « étranger » il faut comprendre une personne provenant de l’extérieur de la Ville).

 

Reconstitution de la scène du crime – lundi 13 novembre 1899
C’est le lundi 13 novembre 1899, cinq jours après le drame, qu’eut lieu la reconstitution de la scène du crime.
M. Romain Daurensan, juge d’instruction, dirigeait les opérations, accompagné du Procureur de la République.
Y assistaient également M. Pogu, commis-greffier, ainsi que le lieutenant de gendarmerie et le commissaire de police.

A 14h, une voiture-panier encapuchonné, de la maison Bertrand, conduite par le père Auguste, est allée chercher Charret à la prison pour le conduire à la gare, et déjà une foule s’étendait du café Benjamin au bureau de la douane, avide d’assister à cette scène, tandis que la grande Cour de la gare était évacuée.
En attendant l’arrivée de Charret, les magistrats rendus à la gare, y interrogeaient la bonne de Mme Charret: Yvonne Guibert, principal témoin, et lui faisaient raconter la scène du meurtre.
A 14h30, la voiture, qui avait filé par le chemin du Séminaire et de l’usine à gaz, tourna au coin de la maison de M. Guyot, vétérinaire; une formidable clameur de huées, de cris « à mort » s’éleva.

A sa descente de voiture, Charret fut pris à partie par le frère de Mme Casner mère (l’oncle de la victime), vêtu de noir, qui s’avança subitement vers le meurtrier et, lui montrant le poing, proféra des paroles de menaces, et lui reprocha d’avoir fait de lui une victime de son abominable meurtre.
Maintenu par le commissaire de Police, il se vit aussitôt inviter par le Procureur à laisser la justice suivre son cours. Il se retira sans réplique.
Et bientôt l’assassin, toujours impassible, les mains enchaînées sous ses gants jaunes clairs, descendit à la porte de la gare, rentra dans la salle d’attente, s’assit un instant sur un banc, retira ses gants, et fut ramené sur le trottoir de la sortie des voyageurs, dans la Cour de la gare, où on lui fit répéter la scène du crime. Il s’y prêta sans difficulté et conservant toute son assurance.

Charret donna toutes les explications désirables. « Mis en présence des principaux témoins, l’agent Picorit et la bonne de Mme Charret, il discuta pied à pied, opposant à leurs dires les plus formels démentis » indiqua l’un des journalistes présents. Cette dernière fut appelée, et affirma, en l’appelant menteur, qu’elle se tenait à la droite de sa maîtresse au moment où il tira sur Mme Charret.
Malgré sa froideur – peut-être qu’apparente – il fit cet aveu de sa pensée au moment de l’attentat: « Je sais que je fais mal ». Il répéta cela tranquillement, sans émotion apparente, pendant que la foule poussait des cris de mort qui n’avaient l’air de guère l’émouvoir.
Le journaliste précisa que Charret ne lui avait nullement produit l’effet du fou pour lequel certains voulaient le faire passer.

Il fut ensuite conduit au café National où une balle avait pénétré en brisant une glace. Charret s’approcha et très attentivement examina le carreau brisé à travers lequel un projectile avait pénétré dans le café.
Il dira ne pas s’expliquer comment ce projectile avait pu frapper le café National, situé assez loin de la scène du crime, et avait l’air de s’extasier sur la longue portée de l’arme qui avait servi à perpétrer le crime.

La gendarmerie et la police eurent toutes les peines du monde à contenir la foule que l’accusé venait de traverser; Charret ne se démonta pas et après ce début reconstitution les magistrats le conduisirent, escorté, à l’intérieur de la gare. Sous la marquise intérieure, la reconstitution du crime fut poursuivie, puis Charret prit place sur un banc pendant que le juge d’instruction dressait un procès-verbal dans le bureau du chef de gare.
Durant les quelques instants que lui laissait cette opération, l’assassin se mis à caresser longuement le chien du chef de gare.

A 15h30, la reconstitution de la scène du crime terminée, Charret – toujours impassible – remonta dans le fiacre qui l’avait amené et s’éloigna sous un formidable concert de malédictions, interrompu un instant par le passage d’un enterrement.
Il fut conduit à son domicile, quai de la Poissonnerie, à l’effet de procéder à une perquisition dans ses papiers. Divers papiers saisis furent renfermés sous enveloppe; Charret qui suivit attentivement cette opération, pria son avocat, Me Traineau, de bien prendre note des pièces saisies.

A 16h30, Charret fut reconduit sous la garde du maréchal des logis chef, M. Allaire à la prison.
Même foule, même indignation. La foule massée sur les quais, augmentée par les poissonnières ayant fini leur journée, renouvela, avec vigueur, les cris de « A mort l’assassin ! », et sans la présence de la gendarmerie et la police qui le protégeait, la foule lui aurait certainement fait un mauvais parti.
« Quel crime, mais aussi quel châtiment ! » précisa l’un des journalistes.

 

Dans Le Journal des Sables du 16 novembre 1899, Georges Buet, prit la plume sous le titre « Autour d’un Crime ».
Voici quelles furent ses sentiments alors qu’il avait été touché dans sa chair et que son épouse n’était pas encore sortie d’affaires.

AUTOUR D’UN CRIME par G. Buet
« A voir la sereine tranquilité de l’assassin Charret, on est par moments tenté de croire que le misérable ne se rend pas compte de toute l’étendue de son épouvantable forfait.
Et cependant il n’y a aucun doute à conserver à cet égard, car à la remarque que lui fit M. le juge d’instruction sur le choix de Me Poincaré comme défenseur – Me Poincaré habite Paris – Charret froidement, répondit:
« Ah! ça, croyez-vous donc que moi-même je me dérangerai chaque fois qu’il vous plaira de m’interroger ? Si vous avez besoin de moi, vous viendrez me voir, me souciant fort peu de recommencer les promenades que vous me faites faire à travers la ville. »

– Cynisme du meurtrier: A M. le Procureur qui lui demandait s’il se rendait compte de sa situation, Charret aurait, paraît-il, répondu:
« Monsieur, je trouve votre question au moins indiscrète et si c’est un cours de morale que vous prétendez me faire, je vous en dispense totalement. »

Voilà l’homme: pas un moment de faiblesse, pas un mot de regret à l’adresse de sa victime, rien, rien, sinon que le cynisme d’un bandit de profession.
– Délicatesse … d’estomac: La première pensée de Charret à son entrée en prison a été pour son estomac qui, paraît-il, ne s’accommode pas du tout du régime pénitencier. Il a eu des révoltes, ce cher estomac, et de si violentes même, que son propriétaire a demandé l’autorisation de faire venir ses repas du dehors, ce qui lui a été accordé. Sa bonne sera chargée de ce soin.

– Sur la dure: Sans précisément coucher sur la dure, Charret estime que la literie ne vaut pas mieux que la table, si bien qu’il demande un ou deux matelas supplémentaires. C’est égal, en voilà un que les remords de conscience n’étouffent guère.
Bon gîte, bonne table et des lunettes qu’il a fait demander pour ses lectures quotidiennes, cela suffit pour lui faire oublier l’acte monstrueux qu’il vient de commettre.

Ah ! Toutefois, il a fait demander du chloral*, par crainte de l’insomnie sans doute.
Veut-il oublier ou désire-t-il simplement dormir pour se reposer ?
Connaissant l’homme, je penche plutôt pour la seconde hypothèse. »
(* Note de la Revue: L’hydrate de chloral sert à calmer ou à aider à trouver le sommeil en cas d’anxiété ou d’insomnie).

 

La suite judiciaire
Le vendredi 10 novembre au soir, la Presse apprit que Charret désignait comme avocat pendant l’instruction Me Traineau*, du barreau des Sables d’Olonne.
(* Il s’agit d’Alfred Traineau, avocat, qui fut Conseiller municipal des Sables d’Olonne en même temps que le fut Louis-Victor Charret. Il fut même 1er adjoint sous le mandat de Marcel Garnier. Alfred Traineau est décédé en juillet 1909).
« L’assassin qui, aujourd’hui, est très abattu, se dit malade« .

En attendant que son procès s’informe, Charret se préoccupait d’obtenir des médicaments et d’être transféré à la cellule de l’infirmerie.
Le docteur Canteteau ne pensa pas que cette demande fut justifiée. Il se contenta, « avec ce sentiment de modération que les criminels inspirent aux honnêtes gens », de faire ajouter un matelas à la couchette règlementaire du prisonnier.
En outre, l’assassin demanda que sa nourriture lui fut apportée du dehors, nous croyons savoir qu’on a jugé plus prudent de lui refuser cette faveur, et de lui servir l’ordinaire des prisonniers afin que le contrôle de ses aliments ne lui permette pas d’échapper à la justice.

La comparution devant la Cour d’assises n’aura pas lieu
En janvier 1900, l’affaire Charret connut alors un temps d’arrêt à la veille de venir devant la Cour d’assises.
Maître Chenu, avocat du barreau de Paris, défenseur de Charret, fit opposition à l’ordonnance rendue par le Parquet des Sables renvoyant le prévenu devant la juridiction de la Cour d’assises. L’affaire fut donc rayée du rôle. Ce fut donc à la Cour de Cassation de statuer et déclarer recevable ou non l’opposition formée, Charret s’étant pourvu en cassation contre l’arrêt de la Chambre des mises en accusation.

Cette opposition rendait impossible le passage prévu devant la Cour d’assises de la Vendée le lundi 22 janvier 1900, à l’ouverture de la session. A cet effet, Charret avait été transféré à la prison de La Roche-sur-Yon dans un état de santé fort délabré. Et donc, son avocat Me Chenu, voulait faire examiner son client par des médecins-légistes, avant qu’une juridiction soit chargée de juger cette affaire. C’était donc seulement à la session d’avril que pouvait comparaître en Cour d’assises Louis-Victor Charret. C’était Me Henri Robert, du barreau de Paris, qui devait venir le défendre devant la cour d’assises de la Vendée.

Mais, il ne put comparaître ni en janvier ni en avril 1900 puisqu’il décéda le 16 janvier 1900.
Atteint d’un grand affaiblissement à la suite duquel on dut le transporter à l’hôpital, on constata qu’une congestion (cérébrale) commençait à envahir le cerveau, la nutrition du malade devint impossible. Le jeudi suivant, il succomba à l’âge de 65 ans à une congestion cérèbrale.*
(*Congestion cérébrale: cette expression n’est plus tellement employée actuellement. On lui préfère le terme d’accident vasculaire cérébral, abrégé en AVC).

Général Jeanningros

Ses obsèques eurent lieu le 19 janvier 1900, à dix heures et demie, à l’église Saint-François-Xavier à Paris.
En l’absence de tout membre de la famille, celle-ci était représentée par le capitaine Fabert. On remarqua également le général Jeanningros, président d’honneur de la Société des Vétérans de 1870-71 créée par Charret; le général Berruyer, le commandant Jouatte et de nombreuses notabilités du monde militaire.
Au cimetière de Montparnasse, des discours furent prononcés par le vice-président de la Société des anciens vétérans, M. Lucien Millevoye et le capitaine Jubel, au nom des chasseurs d’Afrique.

 

QUATRE CHOSES À SAVOIR SUR LOUIS-VICTOR CHARRET 

Louis-Victor Charret sortait de Polytechnique
Il était bachelier es-lettres et bachelier es-sciences.
Il fut reçu à Polytechnique en 1853.
Sa fiche permet de savoir qu’il était roux, le front découvert, les yeux gris-bleus et d’une taille d’1m71.
Son rang de sortie en 1855 fut 50ème sur 120.
Il fut admis dans le service du génie en 1855, le 20° d’une liste de 24 élèves.

36 ans et 8 mois de services, au 31 décembre 1887 (à 53 ans).
Il savait monter à cheval.

Fiche Ecole polytechnique de Louis-Victor Charret © Ecole polytechnique

Il était Officier de la Légion d’Honneur

 

Louis-Victor Charret – Officier de la Légion d’Honneur – © Grande Chancellerie de la Légion d’Honneur

 

Et il avait été membre du Conseil municipal des Sables d’Olonne
Il fut élu pour la session commençant le 15 mai 1892, Léandre Giret étant maire.
On voit son nom et sa signature pour cette séance du 13 août 1892.

Il fut fondateur-gérant du journal La Vendée républicaine
Le journal « La Vendée républicaine » fut fondé en octobre 1886.
Louis-Victor fut le fondateur et gérant de ce journal.
On peut voir sur cette manchette, à droite, le nom de V. Charret, avec la mention « Ancien élève de l’Ecole polytechnique, Officier de la Légion d’Honneur ».

Louis-Victor Charret, fondateur de La Vendée républicaine – © Archives de la Vendée

 



  • Biographie de Louis-Victor Charret
    1853: reçu à Polytechnique
    Reçoit en 1954, à l’âge de 20 ans, la médaille militaire en Crimée.
    Ecole d’application de Metz en 1855.
    A servi à Arras, l’armée d’Italie en 1859, Montpellier, Etat Major du génie à Cherbourg, embarque à Marseille pour l’Algérie en 1863, à Metz, à Montpellier.
    .
  • Nommé Chevalier de la Légion d’honneur le 11 août 1869
    .
    Puis, il sert dans l’armée du Rhin à partir du 1er août 1870 (comme officier d’ordonnance du général Lapasset).
    Le 24 août 1870: à l’hopital de Reims, évacué sur celui de Rouen puis de Montpellier.
    Puis à l’Etat major du Génie à Bourges en janvier 1871, à Verdun, à Toul, à Belfort.
    Capitaine de 1re classe d’état-major du génie à Coulommiers.Promu au grade de Chef de Bataillon le 14 août 1876 au 1er tour (ancienneté), à La Roche-sur-Yon.
    Il est alors Commandant du 11ème Bataillon territorial du Génie.Le 18 septembre 1877 embarque à Marseille pour l’Algérie.
    Le 28 juillet 1878, Etat major du Génie à La Roche-sur-Yon.
    Admis à la retraite le 13 mars 1884. Rayé des cadres le 10 mai 1884.
    .
  • Les insignes d’officier de la Légion d’honneur lui furent remis le vendredi 1er février 1889 par le général Forgemol de Bostquénard, commandant le 11° corps d’armée, devant la garnison, assemblée sur la place d’Armes de La Roche-sur-Yon.
    *** Le 11e corps d’armée est un groupement de l’armée de terre française créé en 1870 pour encadrer des unités de l’ouest de la France, avec pour centre Nantes et pour ressort territorial les départements du Finistère, du Morbihan, de la Loire-Inférieure et de la Vendée.
    *** Lors de la même cérémonie furent remis les insignes de la Légion d’Honneur au Colonel de Réals (Charles Boscal de Réals), commandant le 93ème de La Roche-sur-Yon, promu commandeur, et au Commandant Belloc, du 93ème, promu officier.
    (Le 13 avril 1889, il signe depuis Les Sables d’Olonne son récépissé d’Officier de la Légion d’Honneur, et le 2 février 1889, depuis La Roche-sur-Yon le récépissé de la décoration).
    .
    En 1894, il devient président-fondateur de la Société des vétérans des armées de terre et de mer de (la guerre de) 1870-1871.
    – La Presse 1er novembre 1897 – « La Fête des Vétérans à la Salle Wagram: Le commandant Charret, président-fondateur de la Société des Vétérans, d’une voix entrecoupée par une pétriotique émotion, adresse aux jeunes conscrits, qui sont nombreux à la réunion, des paroles ardentes qui électrisent tous les coeurs (…). »
    – Le dimanche 28 janvier 1900, Arcachon-Journal relate « La Grande Fête des vétérans à La Teste » avec de nombreuses délégations.
    « …. je vois, confondus dans vos rangs, les survivants des héros de Crimée, d’Italie, du Mexique; les vaillants qui luttaient à la frontière en 1870, deux cent mille contre six cent mille allemands; les admirables marins qui se dévouaient au siège de Paris (….). Donnons un souvenir et des regrets au digne commandant Charret, qui vient de mourir; il a été le fondateur de l’oeuvre des Vétérans des armées de terre et de mer dont les généraux Jeanningros et Lambert ont pris le haut patronage (….).
  • Charret fut également fondateur et vice-président de la Société des orphelins des anciens militaire, alors présidée par le général Fournets.L’affaire se dénoua ainsi de manière inattendue.
    Le Petit Journal

Sources:
– Journal des Sables et Courrier de la Vendée réunis novembre dimanche 12, jeudi 16, dimanche 19 novembre 1899
– L’Est Républicain du 12 novembre 1899
– Etoile de la Vendée des, 12, 16 et 19 novembre 1899
– Le Petit Journal des 17, 27 et 28 janvier 1900
– Le Petit Parisien des 10 et 11 novembre 1899
– Arcachon-Journal 28 janvier 1900
– Courrier de La Rochelle du 16 novembre 1899
– La Charente du 14 novembre 1899
– La Dépêche tunisienne du 17 novembre 1899
– La Presse du 1er novembre 1897
– Le Constitutionnel du 12 novembre 1899
– Le Journal du dimanche 17 janvier 1900
– Le Mémorial des Vosges du 11 novembre 1899
– Le Patriote de la Vendée du 16 novembre 1899
– Le Petit parisien du 27 janvier 1900
– Archives de la Vendée (Les sables d’Olonne), Archives de la Meuse (Saint-Mihiel), Archives de l’Ecole Polytechnique
– La Plage 1899

 

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