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80 km à l’heure: vision divergente entre l’Etat et le département de la Vendée

80 km à l’heure: vision divergente entre l’Etat et le département de la Vendée




Le 15 mars, Emmanuel Barbe, magistrat, délégué interministériel à la sécurité routière – depuis le 1er avril 2015 – a fait une visite en Vendée, plus précisément à la Préfecture sise à La Roche-sur-Yon où il a rencontré le Préfet Benoît Brocart, le procureur Hervé Lollic et les représentants tant des services s’occupant de la sécurité routière que des associations de défense des automobilistes.
On rappellera que dans chaque département ont été mis en place un Conseil départemental de prévention, présidé par le Préfet, et dont les vice-présidents sont le Président du Conseil départemental et le Procureur de la République. Il valide notamment le Document Général d’Orientations (DGO) et le Plan Départemental d’Actions de Sécurité Routière (PDASR) et évalue les résultats obtenus; et aussi la Conférence départementale de sécurité, placée sous l’autorité du Préfet et celle du Procureur de la République, qui coordonne l’action des services de l’État dans la lutte contre l’insécurité routière.

Signature du DGO (©Photo: Le Reporter sablais)

Ce fut également l’occasion pour le Préfet de présenter les grandes lignes directrices du Document général d’Orientation – DGO pour 2018 – 2022 sur le sujet concerné. Le DGO détermine les enjeux et fixe les orientations et les axes de la politique de sécurité routière pour les 5 ans à venir – aujourd’hui 2018/2022 – à la suite d’une étude et d’une analyse fine des accidents sur le département pour la période la plus récente.
En 2017, le nombre de tués est en diminution avec 37 victimes sur les routes vendéennes contre 56 en 2016 (et 37 en 2015) mais le nombre d’accidents corporels et de blessés est en augmentation avec une hausse de 27,5% pour les accidents corporels et de 29,4% pour les blessés.

Les services de la Préfecture et la directrice de Cabinet – Sibylle Samoyault – mettront en forme et détailleront dans les mois qui viennent le contenu précis des orientations à la suite de la DGO, notamment celles à prendre vis-à-vis des jeunes, des deux roues, des séniors, des piétons etc….: il s’agira du plan départemental de sécurité routière – PDASR – qui recensera toutes les actions de prévention retenues, une déclinaison annuelle de la politique de sécurité routière réalisée à partir du DGO. Le PDASR permet aussi de prendre en compte les desiderata retenus des acteurs locaux. Le PDASR intègre le Plan Départemental de Contrôle Routier (PDCR), qui permet à partir d’objectifs pertinents et facilement mesurables d’adapter l’ensemble des moyens disponibles à la réalité quotidienne de l’insécurité routière dans le département.

Dossier PDF: Lire le PDASR 2017 Vendée

On sait que pour 2018, les thèmes retenus qui d’ailleurs font l’objet d’appels à projets sont les suivants:
– 4 enjeux nationaux: risque routier professionnel, conduite après usage de substances psychoactives, jeunes, seniors
– 2 enjeux spécifique en fonction de l’accidentologie locale: deux-roues motorisés et vitesse inadaptée.

Emmanuel Barbe, Benoît Brocart, Hervé Lollic (© Photo: Le Reporter sablais)

Lors de cette rencontre, le Procureur Hervé Lollic est intervenu en indiquant tout d’abord que le contenu du DGO était fondé et qu’il s’y associait. Deuxième point, il a déclaré – de manière forte – qu’il fallait « lutter contre la délinquance des délits routiers qui frappe et tue en Vendée » fustigeant ce qu’il considère comme un « fléau de l’individualisme. »
Il a regretté d’entendre systématiquement les explications données, à savoir « la faute à pas de chance » et incité ceux qui sont à 10km/h près à aller rencontrer les familles des victimes !
Il a indiqué que les accidents étaient dus pour 1/3 à la vitesse et près d’un autre tiers aux stupéfiants, précisant qu’en Vendée ce n’était pas un problème d’infrastructure du réseau qui est sûr. Selon lui, certes il faut de la prévention mais il faut aussi sanctionner, notamment les récidivistes. Ainsi, sur ses instructions, pour les récidivistes les voitures sont envoyées à la fourrière et c’est ensuite au juge de décider de restituer ou non le véhicule: « Une action individualisée est nécessaire, mais il faut cependant que les délinquants de la sécurité routière sachent qu’ils repartiront à pied..! »
Hervé Lollic a poursuivi en indiquant que, pourtant très impopulaire, la ceinture de sécurité avait sauvé beaucoup de vies. Puis, il a conclu qu’il ne voyait vraiment pas en quoi les 80 km/h était une atteinte à la liberté!

Le Préfet, Benoît Brocart, a regretté que la Vendée ne soit pas un bon élève, son niveau de tués dus à la circulation routière étant supérieur à la moyenne nationale. Le projet, dit-il, de vitesse à 80km/h concerne les routes bidirectionnelles sans séparateurs.
Un catalogue d’actions – voir ci-dessus – va être mis en place associé à une dimension éducative. Il n’a pas manqué de souligner que les dégâts occasionnés par les accidents influaient sur l’économie de la Vendée et constituaient un souci tant pour les familles que pour les entreprises qui en subissent les conséquences.

Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la sécurité routière, a explicité les raisons de son déplacement, ici en Vendée comme dans d’autres lieux, par le besoin d’explications sur le projet. La mise en place des DGO dans les départements étant une occasion de faire le point et de rencontrer les différents partenaires de la circulation routière. Pour lui, il y a un besoin de pédagogie, notamment au regard de la désinformation, selon lui, orchestrée par des associations qui veulent faire croire que l’Etat cacherait des rapports liés à la sécurité routière.
Revenant aux aspects de l’accidentologie, il a déclaré que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les accidents n’ont pas lieu principalement sur les routes difficiles; en effet, sur celles-ci les conducteurs ont tendance à ralentir et à faire attention. Les accidents auraient donc davantage lieu sur les « bonnes routes » car les conducteurs roulent alors plus vite et sont moins vigilants: « C’est sur les routes roulantes qu’il y a le plus d’accidents, et davantage l’été et sur route sèche; l’hiver ou par de temps de pluie, les conducteurs sont plus vigilants et il y a donc moins d’accidents.(…) Le danger commence quand il n’y en a plus… »

Quels que soient les avis divergents sur les études réalisées, leur nombre, leurs conclusions etc… entre pro et anti 80km/h, Emmanuel Barbe considère que le passage aux 80km/h aura des effets bénéfiques et que le choix de cette vitesse est un équilibre vis-à-vis de ceux qui pourraient être inciter à vouloir, par exemple, 70km/h.
A ce sujet, nous avons demandé à Emmanuel Barbe pourquoi il n’était alors pas envisagé, dans le même esprit, de baisser les vitesses sur les autoroutes? Il répondit que les conséquences positives ne seraient pas les mêmes, le bilan serait beaucoup moins positif, notamment en raison de l’existence de séparateurs sur les autoroutes.

Les débats lors de la dernière session du Conseil départemental de Vendée – journée du 22 mars 2018
On rappellera que ce sont les collectivités locales qui gèrent 97 % du réseau routierpartie la plus accidentogène puisqu’en toute logique le danger est moindre sur les autoroutes notamment en raison des séparateurs. Selon les statistiques, les routes départementales et communales représentent 65 % du trafic pour 84 % des décès. Chaque accident sur le réseau routier fait l’objet d’une enquête pour comprendre les raisons de l’accident, lister les facteurs possibles, orienter les actions locales et alimenter les DGO et PDASR : accès, carrefours, ralentisseurs, giratoire, partage entre usagers (piétons, voitures, bus etc..), séparateurs, bitume etc…

La motion présentée lors de la session du Conseil départemental portait le titre suivant: « Abaissement de la limitation de vitesse de 90km/h à 80km/h / Pour une concertation en vue de l’adoption de mesures ciblées »
et le contenu était le suivant:
« Le Conseil départemental de la Vendée
– tient à exprimer son profond désaccord à la suite de l’annonce de la réduction généralisée de 90km/h à 80km/h des vitesses maximales – autorisées sur les routes à double-sens sans séparateur central – faite par le Premier ministre, le 9 janvier 2018, dans le cadre de la réunion du Comité interministériel de la Sécurité routière;
– dénonce tout particulièrement l’impact négatif de cette décision dans un département rural, comme l’est la Vendée, où l’essentiel du trafic routier transite par des axes à 90km/h et où l’automobile demeure le moyen de transport le plus utilisé.
– s’inquiète en effet des préjudices d’une telle décision pour les usagers de la route, parmi lesquels l’allongement du temps de trajet, ou l’entrave à la mobilité professionnelle;
– estime que cette mesure va accroître les inégalités territoriales, le sentiment d’abandon des territoires ruraux ou semi-ruraux, et nuire à leur attractivité;
– s’indigne en outre de l’application de la mesure de manière uniforme sur tout le territoire national, sans prise en compte des disparités locales;
– souligne d’ailleurs l’état satisfaisant de l’essentiel du réseau routier vendéen, tant en termes de développement que d’entretien, ce qui autorise, la plupart du temps, une conduite à 90km/h;
– remarque également que le Gouvernement crée des contraintes supplémentaires au lieu de proposer un plan d’investissement pour sécuriser davantage les routes accidentogènes;
– rappelle, à cet égard, la politique résolument volontariste du Conseil départemental de la Vendée pour développer les routes à 2×2 voies, malgré la réduction continue des dotations de l’Etat.

EN CONSEQUENCE, LE CONSEIL DEPARTEMENTAL DE LA VENDEE
– déclare partager pleinement l’objectif de sécurité routière et de réduction de la mortalité, mais contester l’utilité de cette mesure généralisé et aveugle;
– souhaite l’abandon de ce projet d’abaissement de la limitation de vitesse et le lancement d’une concertation avec l’Etat en vue de l’adoption de mesures de sécurité sur les secteurs les plus accidentogènes;
– demande que l’avis des élus locaux soit recueilli avant toute décision concernant leurs territoires, et que le principe de subsidiarité et l’esprit de la décentralisation soient scrupuleusement respectés dans le cadre des relations entre l’Etat et les collectivités territoriales.

Lors des débats, Stéphane Ibarra (opposition – PS) prit la parole en indiquant qu’il s’abstiendrait. Il expliqua ainsi sa position: « On peut partager le regret qu’il n’y ait pas plus de concertation mais l’objectif de réduire la mortalité doit nous mobiliser. » Il reprit à son compte les arguments de l’Etat, à savoir que pour une distance de 40kms l’allongement de la durée du parcours était de 3 minutes. Il fallait donc, selon lui, relativiser car les incidences des 80km/h n’étaient pas si graves que ça.
Il ajouta qu’il y avait un plan global qui ne se limitait pas à la vitesse et comportait d’autres actions, par exemple contre l’alcoolémie. Il conclua en indiquant qu’il y avait beaucoup de morts en Vendée et que lui et son groupe ne souhaitaient pas donner un mauvais signal aux Vendéens.

Alain Leboeuf répondit en ces termes: « Nous ne sommes pas inconscients et sommes (tout autant que l’Etat et vous) attentifs à la vie des Vendéens. Nous sommes contre en raison de la généralisation prévue; nous ne sommes pas contre les 80km/h mais contre la mesure généralisée des 80km/h sur des routes très différentes les unes des autres. »
Il poursuivit en estimant que les conducteurs ne pouvaient comprendre une mesure qui soit généralisée et en plus sans aucun aspect pédagogique, considérant qu’il s’agissait d’une infantilisation des conducteurs. « On peut disserter sur les 3mn, on peut comprendre qu’on ne fasse pas de cadeaux sur l’alcoolémie ou pour ceux qui utilisent des appareils de détection, mais sur les 80km/h généralisés nous ne sommes pas d’accord. 80km/h sur des routes rectilignes, faciles, non! Notre motion n’est pas contre les 80km/h mais contre les 80km/h généralisés. »

Noël Faucher

Noël Faucher indiqua que l’on pouvait s’interroger sur la vision du Gouvernement à propos de la sécurité routière en faisant une relation avec les difficultés du développement du transport ferroviaire. Il considéra que par cette mesure – les 80km/h – les ruraux étaient à nouveau pénalisés voire stigmatisés. Il considéra au surplus que rien ne permettait de démontrer que cette mesure aurait une efficacité et que le coût de celle-ci aurait pu servir à l’amélioration des infrastructures routières.
Quant au Président du Conseil départemental, Yves Auvinet, il rappela que les collectivités étaient gestionnaires de l’essentiel des routes et que ses élus étaient donc les plus à même de savoir ce qu’il fallait appliquer pour les territoires en matière de routes et de sécurité routière. Il déplora également une forme de reconcentration des pouvoirs politiques dans notre société actuelle.

VOTE: 32 POUR LA MOTION – 2 ABSTENTIONS (PS)

Philippe Brossard-Lotz
Le Reporter sablais




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