L’Opéra de Quat’sous Histoire du Cinéma: Florelle, Pabst et L'Opéra de quat'sous (Recherches historiques et cinématographiques: Philippe Brossard) Florelle se trouvait donc à Berlin au moment où le grand réalisateur Georg Wilhelm Pabst préparait les deux versions (allemande et française) de L’Opéra de Quat’sous. Un film pour la Warner, inspiré de la pièce et comédie musicale allemande Die Dreigroschenoper, écrite par Bertolt Brecht et mise en musique par Kurt Weill. Cette pièce découlait d’une ancienne et célèbre comédie anglaise en trois actes datant de 1728, The Beggar’s Opera (L’Opéra des Gueux), créée par John Gay (dramaturge) et Johann Pepusch (musique). Die Dreigroschenoper poursuivra son triomphe à Berlin après son lancement le 31 août 1928 (la générale le 28 août 1928) au Theater am Schiffbauerdamm. Florelle, alors qu’elle s’attristait de ne jouer que de courts et petits rôles au cinéma, apprendra alors sur place, à Berlin, que Pabst va tourner L’Opéra de Quat’sous, le premier film parlant de ce réalisateur. - Je ne connaissais alors aucune vedette de cinéma, hormis mon bon gros Jim Gerald, dont l’amitié bourrue et clairvoyante me fut d’un grand secours. Elle y apprend en même temps que Pabst n’a pas encore son interprète pour le rôle de Polly Peachum dans la version française car, si Madeleine Renaud est pressentie et que le rôle lui plaît, sa disponibilité n’est pas assurée en raison de la signature de plusieurs engagements. Elle fait partie des actrices que le cinéma parlant a propulsé après avoir été presque oubliée depuis La Terre qui meurt, film muet réalisé par Jean Choux en 1926. L’important rôle de Mackie (Macheath) était déjà attribué à Albert Préjean, et celui de Peachum à Gaston Modot. Pour Polly Peachum, on chuchottait…. Georg Pabst se voyait contraint de rechercher d’autres actrices susceptibles de remplacer Madeleine Renaud puisque le tournage devait avoir lieu deux jours après. La chance voulut qu’un figurant, qui jouait dans l’un des films précédents, connaissait les habitudes des studios berlinois. Je ne connaissais pas Pabst. Mais j’en avais beaucoup entendu parler. Toujours, on m’avait dit qu’il était non seulement un metteur en scène remarquable, mais encore un homme très bienveillant. - Vous devriez tenter votre chance, me conseilla un pauvre figurant avec qui j’étais liée d’amitié racontera Florelle. Le figurant promit à Florelle de la présenter à Pabst. Avant la rencontre, Kurt Weill, trouvant la voix de Florelle proche de sa musique, lui avait fait apprendre les couplets que devait chanter Polly Peachum dans le futur film. Il incita donc Pabst à lui proposer un bout d’essai. D’autres avaient aussi dit à Pabst : Essayez-la, vous verrez… sur l’écran elle fait pas mal d’effet! Pabst accepta, sans conviction, car il souhaitait une femme très jolie, jeune, blonde, chantant à merveille et surtout ayant une grande expérience de la scène! Florelle raconta plus tard la situation. - Je fus présentée à Pabst. (...) Le premier jour où je le vis, il me fit une impression terrible. Il était nerveux, irrité, d’une brusquerie déroutante. Pabst voulait une blonde, je ne l’étais pas assez. - Que voulez-vous, me dit-il ? Le rôle de Polly… Ah ! non… mille fois non… Il me faut une jeune fille. Blonde d’abord, et jolie…Vous n’êtes pas du tout le type… - Tout ceci du ton rêche d’un monsieur pressé à qui l’on a fait perdre son temps. - J’allais partir… partir pour de bon. - Retourner aux cabarets, aux tournées…. si Pabst, sans doute adouci par mon air désolé, n’avait ajouté: - Enfin, il ne faut pas dédaigner la plus petite chance. Vous ferez un bout d’essai. Revenez demain… - J’eus le temps de me faire passer les cheveux à l’eau oxygénée, afin de répondre au moins à une des exigences du rôle de Polly. En deux heures je devins ce qu’il voulait. Dans la petite colonie française de Berlin, on savait déjà que j’avais postulé pour ce rôle. Et l’on en faisait des gorges chaudes. Je pleurai toute cette nuit-là, ce qui n’arrange pas les yeux pour tourner le lendemain. J’arrivai au studio l’esprit en déroute, certaine que tout allait rater. Florelle revêtit une robe de mariée et chanta au micro les couplets de L’Opéra de Quat’sous : On m’affubla d’une robe de satin blanc dans laquelle je m’enpêtrai. J’avais peur, j’avais la migraine. J’obéissais, comme une mécanique, incapable d’une initiative. Lorsque ce fut fini, l’assistant me dit un « merci » tout froid. Pabst, la pensée ailleurs, bougonna: On vous convoquera si c’est nécessaire… Florelle ne croît pas vraiment avoir réussi l’essai... Je quittai le studio, abandonnant le maquillage et le costume sans espérer les reprendre jamais. - Va faire tes malles, me dis-je… Je fis les malles. Je pris même un billet pour Paris. Une révélation pour Georg Pabst Un billet qui fut perdu. L’essai tourné dans des circonstances si défavorables se trouvait être, paraît-il, satisfaisant. Même si Pabst restait un peu réticent car Florelle était débutante, Madeleine Renaud prévenant qu’elle ne pourrait défnitivement accepter le rôle, celui-ci fut donc confié à Florelle. - Pabst, encore réticent, m’accorda pourtant sa bienveillance. On m’aida, on eut de la patience, puisque j’étais débutante. En sortant de la salle où fut projeté le bout d’essai, Georg Pabst dira: C’est la plus grande révélation de ma vie. Pabst rayonnant, tout joyeux, s’excusa de ne pas avoir eu confiance en moi. Et nous avons tourné ce film, qui demeure pour moi un souvenir émouvant, précisa Florelle. Parmi les analyses critiques de la presse, on notera celles-ci qui avaient l’avantage d’être pertinentes sans être dithyrambiques: C’est un nouveau départ pour Florelle qui fait une bien agréable Polly. Son jeu manque parfois de force, mais son talent plein de fraîcheur nous fait augurer de son avenir (….). Florelle, dans son rôle de Polly Pitchum, la fille du roi des mendiants, lui valu en général d’excellentes critiques et lui donna son surnom de « fille joyeuse au regard triste ». On lui trouve une grâce fragile. Un succès considérable pour L’Opéra de Quat’sous Le film ne put sortir immédiatement en raison de démêlés avec la censure. L’Opéra de Quat’sous, film en partie musical, est une satire traitant des bas-fonds londoniens à l’époque victorienne. On y voit un chef de bande, voleur, proxénète, Mackie (MacHeath) épousant la belle Polly Peachum, fille du chef des mendiants de Soho. Peachum père, furieux de voir sa fille accepter ce mariage contre nature, fait tout pour que Mackie soit arrêté et exécuté. Il sera arrêté mais bénéficiera d’une clémence lui évitant d’être pendu. Avant le film, la pièce de théâtre Die Dreigroschenoper, réalsiée par Brecht et Weill à partir de la traduction du texte original par Elizabeth Haptmann, avait elle aussi, malgré un succès indéniable, fait scandale à sa sortie le 31 août 1928 en raison de son discours antibourgeois. En février 1931, Bertold Brecht et Kurt Weill s’opposèrent à la sortie du film, mais sans succès, estimant qu’il détournait le sens de leur oeuvre. La sortie du film ne sera effective que le 6 novembre 1931 en France en raison de la censure et de ce recours. L’autorisation accordée, le film fut un énorme succès cinématographique, et sa carrière sera triomphale. L’Opéra de Quat’Sous sera considéré comme un authentique chef d’oeuvre du cinéma parlant, renforçant la notoriété de Georg Pabst, beaucoup voyant en lui un réalisateur de génie. Florelle, qui avoua avoir eu des problèmes financiers à cette époque, dira de Pabst : (…) J’ai gardé un souvenir adorable de ce type. C’est grâce à lui que je suis sortie, sans lui je n’aurais rien été. A chaque fois que je revois « L’Opéra de Quat’sous », j’ai le cafard (…). La Complainte de Mackie La Complainte de Mackie, écrite par Bertold Brecht et mise en musique par Kurt Weill (Die Dreigroschenoper), sera enregistrée en 1931 par Florelle, en toute logique puisqu’elle est l’actrice principale du film. Cette version connaîtra un grand succès, d’autant plus qu’elle fit l’objet de nombreuses reprises après guerre sous le titre anglais de Mackie Messer - Mack the knife. En musique jazz par Louis Armstrong (1947), puis Sidney Bechet (1954), Bing Crosby (1957), Ella Fitzgerald (1960), et même Frank Sinatra (1984), ainsi que par de nombreux autres chanteurs, par exemple Mouloudji, et orchestres au point d’en devenir un standard! C’est Bobby Darin qui rencontrera le plus grand succès avec son interprétation en 1959 de Mack the Knife. Son succès rejaillira, bien sûr, sur les interprètes des deux versions, française et allemande: Albert Préjean et Florelle pour la version française, Rudolf Forster et Carola Neher pour la version allemande. Les retombées furent très positives pour Florelle: A la fin du film, Pabst était pour moi le plus grand des amis, le plus sûr des conseillers. (...) Je lui dois tellement, je l’aime et je l’admire si profondément. A partir de ce moment, pour moi, ce fut la grande revanche. Tout le pain gris mangé, je mords (désormais) au pain blanc. La presse, sans aucune exception, m’accueille et me soutient, m’épaulant de la plus efficace manière. Je signe un contrat chez Pathé-Natan. Je tourne. Je tourne sans arrêt! Avant la sortie de L’Opéra de Quat’sous qui la fit connaître, Florelle jouera dans plusieurs films à l’écran en 1931: Mon Coeur incognito, Le Poignard malais, Nuits de Venise, Autour d’une enquête, Faubourg Montmartre, Atout-Coeur, et Gagne ta vie. Le cinéma parlant lui est favorable ainsi que son expérience dans le chant. On put la découvrir chantant dans Le Poignard malais ainsi que dans Faubourg Montmartre, de Raymond Bernard avec Gaby Morlay et Charles Vanel, dans un rôle pour lequel elle a dû batailler ; peut-être tenait-elle absolument à faire partie du casting parce que le film évoquait les quartiers parisiens de sa jeunesse? Elle y joue essentiellement une chanson, mais la séquence est d’un grand intérêt car on découvre Florelle en 1931 telle qu’elle était, en spectacle, dans ses tours de chant. Après le succès de L’Opéra de Quat’sous, le 6 novembre 1931, Florelle jouera alors dans de nombreux films mais, surtout, sera dirigée par les plus grands réalisateurs au point de devenir la première grande vedette française d’un 7ème art devenu parlant. Après la sortie de L’Opéra de Quat’sous le 6 novembre 1931, Florelle participera à : - 9 films en 1932, 4 en 1933, 5 en 1934, 4 en 1935, 1 en 1936, 2 en 1937, 2 en 1938, 1 en 1941. Les grands metteurs en scène, et même Jean Renoir, s’arrachèrent alors Florelle (dates de sortie): - avril 1932: Tumultes de Robert Siodmak - juin 1932: L’Atlantide de G. W. Pabst - octobre 1932: La Femme nue de Jean-Paul Paulin - avril 1933: La Dame de chez Maxim’s d’Alexander Korda - février 1934: Les Misérables de Raymond Bernard - mai 1934: Liliom de Fritz Lang - novembre 1935: Amants et Voleurs de Raymond Bernard - janvier 1936: Le Crime de Monsieur Lange de Jean Renoir. Florelle est en train de réaliser une carrière de premier plan. Elle est présente sur tant d’affiches géantes de films, trônant sur les frontons alors immenses des cinémas, que les Parisiens s’amuseront d’une maladie qui s’empare de la ville de Paris, la florélite! © Copyrights: Le Reporter sablais Reproduction interdite. Philippe Brossard Le Reporter sablais