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Les Sables-d’Olonne Vendée. Alfred de Montesquiou récompensé par le Prix du Livre de plage

Les Sables-d’Olonne Vendée. Alfred de Montesquiou récompensé par le Prix du Livre de plage

1ère parution – Juin 2021

Il faut bien l’avouer, j’étais assez sceptique sur ce nouveau prix, le Prix du Livre de Plage. Pas forcément sur sa réussite mais plutôt sur sa conception et les raisons de son lancement.
Je n’étais pas forcément le seul à appréhender ce lancement qui aurait dû avoir lieu l’année dernière et qui fut repoussé comme bien d’autres événements pour des raisons sanitaires.
Il faut dire que la présentation en était plus que parcimonieuse: “Ce prix récompensera l’ouvrage à ne pas manquer au cours de nos lectures estivales”.
De plus, même si Les Sables d’Olonne a désormais tout l’air d’une grande, on ne peut pas dire qu’elle ait laissé des traces immémorables en matière littéraire.
Alors, voir tout d’un coup des personnalités issues du microcosme parisien médiatico-littéraire, descendre sur le littoral vendéen pour un nouveau Prix pouvait quelque peu surprendre. D’autant plus que, comme le dira lors de la cérémonie des Prix l’académicien Jean-Christophe Rufin, des prix littéraires il y en a beaucoup en France, et de toutes sortes. C’est une jeune-femme, Aïda, organisatrice de rencontres littéraires, qui eu l’idée de celui-ci.

Un soutien gage de pérennité
Jean-Christophe Rufin, qui fut désigné président de ce jury, souligna toutefois que Le Prix du Livre de Plage avait la chance de pouvoir bénéficier du soutien d’une fondation rattachée à l’Institut de France*, la fondation Minerve ainsi que du Figaro Magazine.
(* Créé en 1795, l’Institut de France a pour mission d’offrir aux cinq Académies un cadre harmonieux pour travailler au perfectionnement des lettres, des sciences et des arts. Il encourage la recherche et soutient la création à travers la remise de prix, de bourses et de subventions).
Il souligna également que si la Fondation Minerve décernait des prix, il était toutefois assez rare qu’elle apporte son soutien à un autre prix, ce qui était le cas ici. Cela permettait donc de donner à ce nouveau prix une place dans le paysage littéraire. Une sorte de gage de pérennité.

Le Livre de Plage peut-il relever d’un concept…?
Il n’empêche, ce soutien n’enlevait pas pour autant l’interrogation portant sur les critères devant présider au choix de la sélection. Il est vrai qu’on nous avait laissé dans l’inconnu à ce sujet. Sur quels critères reposerait la sélection des sept ouvrages nominés ? Les membres du jury pouvaient présenter leurs ouvrages favoris – à la condition que ceux-ci soient parus depuis le début de l’année – ou tenir compte de ceux présentés par des éditeurs. Mais cela n’apportait pas de réponse sur la définition d’un “Livre de Plage“, et pas davantage sur des critères déterminants comme pourraient l’être la qualité de l’écriture, la présentation de l’histoire, l’originalité du “scénario”…
Je n’étais pas seul dans l’expectative puisque lors de la remise des prix, le président du jury, Jean-Christophe Rufin indiqua que “ce concept de Livre de plage nous a beaucoup interrogé. Au-delà de la première sélection et du principe de la création de ce prix, c’est un sujet qui a guidé nos débats parce qu’en entrant dans le détail des délibérations on s’est trouvé face à la qualité de sept livres, et il fut donc difficile de trancher.”

 

 

 

Les sept ouvrages sélectionnés:
– Silence radio de Thierry Dancourt, La Table Ronde
– Les Terres promises de Jean-Michel Guenassia, Albin Michel
– Les Heureux du monde de Stéphanie des Horts, Albin Michel
– Sœurs de sable de Stéphane Héaume, Rivages
– Ces Lieux qui ont fait la France de François-Guillaume Lorrain, Fayard
– L’Étoile des frontières de Alfred de Montesquiou, Stock
– Être Cary Grant de Martine Reid, Gallimard

 

Plutôt un livre qui interroge le monde
Le choix devenait difficile pour le jury, les difficultés provenant notamment du fait que ce soit la première édition de ce prix. Le jury s’était réuni à deux reprises: le 7 mai 2021 pour sélectionner sept livres puis le 4 juin pour désigner le lauréat. Ce n’est que le 12 juin que le nom du lauréat fut dévoilé.
“Au fond, nous étions en train de fabriquer un objet qui n’existe pas! Et tant mieux, car le but est que ce prix occupe une place nouvelle” expliqua Jean-Christophe Rufin.
Et c’est alors que la notion de type de livre s’est invitée à la table du jury pour jouer le rôle d’arbitre. Jean-Christophe Rufin poursuit:
“Ce qui nous a interrogé c’est alors le type de livre. Jusqu’ici, il n’y avait pas de prix équivalent. Le livre de plage devait-il être un livre léger – ce qu’on pourrait penser à première vue – ou au contraire un livre qui interroge le monde, un livre plus vaste, plus lesté dans ses enjeux. C’est finalement plutôt vers ce dernier que nous avons décidé d’aller.”

Et ce premier mouvement devrait donc influencer les futures délibérations des jurys des prochaines éditions du Prix du Livre de Plage.

Une sélection éclectique
Juste avant c’est Jean-Christophe Buisson**, directeur-adjoint de la rédaction du Figaro-Magazine, qui s’était exprimé. Il avait expliqué, comme pour montrer qu’il n’y avait pas de définition du Livre de Plage,  combien la sélection était éclectique “avec des livres légers, des livres plus épais – comme la saga de 700 pages rédigée par Jean-Michel Guenassia avec Les Terres promises -, des livres mélancoliques ou des livres plus agités comme celui d’Alfred de Montesquiou qui évoque la guerre en Syrie en 2013, notamment à Homs***.
Ce qui montre bien, précisa Jean-Christophe Buisson, que sur la plage on ne lit pas que des livres légers.

(**Journaliste, maitrise d’histoire, il entre au Figaro-Magazine en 1994 comme grand reporter, devient rédacteur en chef du service Culture en 2008. En 2015, il est nommé directeur adjoint de la rédaction. Il a couvert différents conflits au Albanie, Kosovo, et récemment au Haut-Karabakh. Il a rédigé de nombreux livres historiques.)
(*** Homs est la troisième ville de Syrie et se souleva contre le régime du président Bachar-el-Assad).

A la description poussée que Jean-Christophe Buisson fit de L’Etoile des frontières, juste avant l’annonce du nom du lauréat, on pouvait déjà penser que ce dernier avait recueilli les suffrages. Il souligna combien l’auteur, journaliste, n’était pas tombé dans les travers habituels de ceux-ci lorsqu’ils se lancent dans l’écriture d’un livre. Et avant de passer le micro à Jean-Christophe Rufin, il avoua, avec un grand sourire, que “le suspens a été intolérable et Jean-Christophe Rufin a dû taper du poing sur la table pour faire basculer le jury dans un sens…”.
On n’en doutait pas…

Une présidence qui honore la Ville des Sables d’Olonne
Jean-Christophe Rufin, originaire du Berry mais plutôt montagnard, présenta un tout autre tableau.
Il se félicita – alors qu’il est plutôt montagnard (il réside à St-Nicolas-de-Véroce dans le massif du Mont-Blanc) – du bel esprit d’ouverture de la part des initiateurs du projet, représentants d’une station balnéaire. Il indiqua que cette présidence du jury fut pour lui une très belle expérience, et se déclara très impressionné par la vision qui portait ce prix.
En effet, il lui avait été dit lors de son séjour que ce prix s’insérait dans une vision du développement culturel de la Vendée, et des Sables d’Olonne en particulier, et qu’il s’agissait donc d’une pièce dans un dispositif plus vaste. Et, pour lui, c’était donc “plus excitant encore d’y prendre part.”
C’est pourquoi il accepta l’invitation qui lui a été faite sous nos yeux de poursuivre l’aventure l’année prochaine en portant à nouveau le costume de président du jury du Prix du Livre de Plage.
Un costume beaucoup moins pesant que celui d’Académicien.
Il faut bien reconnaître que cette présidence, ce parrainage, est un grand honneur pour la Ville des Sables d’Olonne au regard des “états de service” de Jean-Christophe Rufin.
Médecin, diplômé de Sciences-Po, écrivain et diplomate français, il fut l’un des pionniers du mouvement humanitaire Médecins sans frontières, puis président d’Action contre la faim. Et ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie alors que Bernard Kouchner dirigeait le ministère des Affaires étrangères.
Il a écrit, notamment, un Essai sur les Enjeux politiques de l’action humanitaire. C’est en 2001 que Jean-Christophe Rufin reçoit le prix Goncourt pour Rouge Brésil, et le Prix Interallié en 1999 pour Les Causes perdues. Il a été élu à l’Académie française en 2008 au fauteuil d’Henri Troyat.

On comprend pourquoi le lauréat du Prix du Livre de Plage – Alfred de Montesquiou – s’est dit particulièrement touché que son livre ait été choisi par un jury présidé par Jean-Christophe Rufin.
“C’est grisant de remporter ce Prix du Livre de Plage, non pas par vanité, mais de se dire que des gens très estimables comme ceux du Figaro Magazine, des libraires, des lecteurs, des gens qui animent des prix des lecteurs, un romancier que j’admire – Jean-Christophe Rufin – et dont je dévore les livres depuis l’âge de 15 ans, aient considéré que c’était un livre réussi, en tout cas suffisamment abouti pour recevoir ce prix” a déclaré Alfred de Montesquiou lors de la remise des prix dans le domaine du Fenestreau, un logis acheté par la Ville à la fois pour préserver le patrimoine du territoire et pour servir de base à l’instauration d’une ceinture verte autour de la Ville.

L’Etoile des frontières a soulevé l’enthousiasme du jury
Ce prix fut remis par Jean-Christophe Rufin et le maire de la Ville Yannick Moreau. Un chèque de 5000 € et un séjour aux Sables d’Olonne vinrent compléter le Prix.
Le président du jury déclara alors: “Tout le monde pourra en témoigner, il y a eu une forme d’enthousiasme pour votre livre, vous faites partie des jeunes auteurs avec ce premier roman.
Et il expliqua aussi les raisons pour lesquelles Alfred de Montesquiou l’avait emporté. Au-delà de la qualité d’écriture, et du souhait évoqué plus haut de choisir plutôt un livre “qui interroge le monde”, l’autre aspect déterminant fut celui de pouvoir aider un jeune auteur dans un contexte qui est aujourd’hui commercialement difficile.
“Sans être un critère absolu” précisa toutefois Jean-Christophe Rufin, le sentiment qu’un prix peut permettre de construire quelque chose de durable et d’aider un jeune auteur à s’installer dans la carrière littéraire est un élément qui assurément a été pris en compte par le jury.

Alfred de Montesquiou, Lauréat du 1er Prix du Livre de Plage

 

Un livre porté par le souffle de la narration
Alors, qu’a-t-il donc de si vertueux cet ouvrage – L’Etoile des frontières est paru le 10 mars 2021 – pour être presque certain que de nombreux baigneurs vont le dévorer, du sable entre les orteils ?
Une chose est certaine est que le lecteur est pris, dès la première page, par un souffle, une qualité de narration peu commune. Certains penseront peut-être à une épopée contemporaine.
Pour nous il s’agit d’une de ces aventures modernes durant lesquelles, quels que soient les labyrinthes empruntés, tout relève du “mektoub”, le signe du destin.
Un sentiment incontournable propre à ce monde oriental dans lequel débarque un photographe, Olivier, qui s’est lancé sur les traces des pratiques coupables d’un orphelinat religieux de Beyrouth.
Les mots choisis par l’auteur vous enveloppent dès les premières lignes dans des senteurs orientales:
” (…) un souffle chaud brassait les arômes de figue, de thym et d’anis sauvage qui se mélangeaient à ce parfum diffus des herbes jaunies à la fin du mois d’août. (…) (…) Comment rendre au mieux la chaleur et la douceur mêlées, la joie fauve des couleurs qui s’offrent à l’œil, en Méditerranée ? (…) Sous la blancheur criarde du soleil, aucune image ne rendait le refrain aigrelet des cigales, la chaleur, les parfums du piémont libanais, le ciel si bleu, bref toute cette alchimie estivale (…)”.

Un ciel bleu parfois terni par des nuages d’une sombreur insoupçonnée:
” (…) Sous couvert de bondieuseries, les sœurs remplissaient leur caisse en fournissant des bébés aux familles pieuses outre-mer. Des parents en mal d’enfant pensaient faire une bonne action, extirpant ces innocents des flammes du Proche-Orient. Dans certains cas, les familles avaient déjà d’autres enfants et leur démarche devenait un geste de suprême charité (….)

Au-delà de ces descriptions, l’auteur nous fait rentrer dans le quotidien de ces journalistes et photographes, bloqués à Beyrouth, et pour lesquels le passage de la frontière syrienne – avec Homs comme objectif – agit comme un aimant incontournable.
“Le photographe confia son désir d’aller à Homs pour remonter la piste du quartier d’al-Mahmuri et retrouver la chapelle, ou skyte, qu’avait décrite la mère supérieure… À sa surprise, Alaeddin ne trouva pas l’idée insurmontable. Homs était au centre du conflit syrien depuis plus d’un an, certes. Mais, dit-il, la vie normale se poursuivait si l’on savait éviter la ligne de front. À l’entendre, Homs était presque la porte à côté. Un trajet beaucoup moins risqué que celui vers l’aéroport, dans la banlieue sud de Beyrouth, du temps de l’occupation israélienne et des premiers snipers du Hezbollah.”
“Le vieux taxi grinça sur ses freins face au premier check-point. Olivier descendit pour finir à pied et Alaeddin lui souhaita bonne chance. – Fais bien attention avec les Syriens… Majaneens, ils sont fous. Une nuance d’inquiétude avait altéré la voix du chauffeur, son assurance de la veille au café s’était évaporée…”

Puis, ce sera la rencontre d’Olivier avec un grand reporter français, Axel, qui débouchera sur une amitié indéfectible. Des personnages dont on imagine qu’ils ne sont pas totalement inventés.
S’appuyant sur ses souvenirs, ceux de cette terre ocre vibrant sous la mitraille, ceux de ces territoires cible d’enjeux cruciaux, Alfred de Montesquiou a fait un roman d’une grande intensité.

Le Fenestreau
Au Fenestreau, la remise des prix vient de s’achever. La forte chaleur en ce mois de juin 2021 entraîne les membres du jury, quelques élus et journalistes, des auteurs sous les arbres centenaires à la quête d’un peu d’ombre. Le lauréat se soumet aux obligations médiatiques: photos devant l’affiche du Prix du Livre de Plage, en solo puis en famille, interviews, radios, TV.

Alfred de Montesquiou – Ernest est très fier du prix remporté par son père

Le calme règne dans le jardin de cet ancien logis vendéen. Ernest, le fils d’Alfred, pose avec son père puis le regarde attentivement devant les micros. Des notes de piano franchissent les portes-fenêtres du logis, amenant Ernest à déclarer qu’il souhaite se mettre à la musique; peut-être du violon comme sa mère, ou alors du saxo.
Jean-Christophe Rufin se plaît à cueillir puis à déguster quelques cerises couleur rouge Brésil tandis que les membres du jury se réconfortent avec un rafraîchissement après avoir subi les affres d’un soleil brûlant.

Une ambiance très calme au Fenestreau qui tranche avec l’atmosphère au Moyen-Orient décrite dans l’ouvrage du lauréat

 

Que l’on est loin, dans cette insouciance, des théâtres guerriers du Liban, de la Syrie, d’un Moyen Orient réveillé régulièrement par des soubressauts belliqueux.
Et pourtant, en suivant du regard Jean-Christophe Buisson, Jean-Christophe Rufin et Alfred de Moutesquiou, tout m’incite à laisser mon imagination errer vers ces pays étrangers rongés par les conflits, et à imaginer ce que fut la diplomatie française dans des temps pas si lointains.
En les croisant, en échangeant quelques phrases, ils semblent d’une grande simplicité et ne campent pas outrageusement des personnages d’aventuriers “baroudeurs”.
L’un a été diplomate, parfois au coeur de terribles soubresauts***, les autres des reporters de guerre en Afrique du Nord et au Moyen-Orient pour le premier, et en Europe de l’Est pour le second).
(***Au premier semestre 2008, alors qu’il est ambassadeur de France au Sénégal, Jean-Christophe Rufin participe avec les agents de la DGSE à la traque des fuyards d’Al-Qaïda après l’assassinat de touristes français en Mauritanie).

Jean-Christophe Rufin et les éditeurs
Jean-Christophe Rufin et Alfred de Montesquiou ont des similitudes littéraires. En tout cas, c’est ce qu’en pense son éditeur Stock:
Par son souffle narratif, par son ambition de faire incarner dans des personnages des enjeux d’aujourd’hui,  L’Etoile des frontières s’inscrit dans la lignée des romans de Jean-Christophe Rufin.

Les carrières diplomatique et littéraire de Jean-Christophe Rufin, et les similitudes littéraires supposées entre lui et Alfred de Montesquiou, m’ont amené à chercher à découvrir ce que le premier avait pu garder comme souvenirs de ses missions diplomatiques et ce qu’il pensait du monde littéraire, des auteurs ou des éditeurs.
C’est dans ses Remerciements lors de sa remise d’épée d’académicien, le 3 novembre 2009, par Pierre Nora, au quai d’Orsay, que nous avons pu retrouver quelques éléments qui nous ont paru non dénués d’intérêt.

“La première tribu, celle dans laquelle je suis né, est le plat pays du Berry, au centre de la France. (…)
La deuxième tribu est celle de la médecine. Elle ne m’a pas apporté une carrière mais elle a formé mon regard sur le monde. (…)
Une autre tribu est constituée par les associa­tions humanitaires. Là, attention ! Pénétrer le milieu humanitaire, c’est un peu comme entrer dans le village de Corleone en plein midi. Tout est chaud, coloré, pittoresque, sympathique. Pourtant, des canons de fusil de chasse pointent derrière les persiennes. Que l’on salue quelqu’un, qu’on en ignore un autre et l’on risque d’être abattu sur place. Les luttes de clans sont féroces chez les faiseurs de bien. Il y a des rancunes tenaces dont je ne serais pas étonné qu’elles se transmettent à travers les générations. (…) Par-delà leurs divisions, les acteurs humanitaires sont les gardiens de quelque chose d’essentiel : la compassion, c’est-à-dire le fait de ressentir la souffrance de l’autre comme la sienne propre. (…)
La tribu humanitaire m’a conduit, bien sûr, en Afrique et j’ai voulu aussi que ce continent m’accompagne pour cette entrée dans la plus vénérable institution de la France (NDLR: l’Académie). (…)
L’action humanitaire, je le répète, m’a apporté beaucoup. Mais elle a fait naître aussi en moi une grande frustration que nombre d’entre vous res­sentent sans doute : comment partager ce que l’on a vécu ? Comment rendre témoignage de ces décors, de ces portraits, de ces émotions, de ces couleurs ? Pour y parvenir, je me suis essayé à l’écriture. À vrai dire, j’en avais toujours rêvé. Mes premières tentatives ont été très inégales. Mais elles m’ont donné l’occasion de rencontrer une autre tribu, qui est fortement représentée ce soir : celle des éditeurs.
Les éditeurs vivent du talent. Ce sont des cher­cheurs d’or, parfois des chasseurs de prime. En tout cas, la rencontre avec eux, quand on vient de l’univers formaté de la médecine, est stupéfiante : voilà des gens qui donnent du prix à la fantaisie ! Le rêve, l’oisiveté, l’imagination, toutes choses qui sont partout regardées avec méfiance, susci­tent leur enthousiasme. Grâce à eux s’opère ce retournement que décrivait Bernanos quand il disait : « On m’a élevé en me forçant à apprendre des choses sérieuses mais maintenant, ce sont mes rêves qui me font vivre. » Ce que je faisais la nuit, en me cachant, est devenu, par la magie des édi­teurs, un livre, c’est-à-dire un objet que l’on peut acheter partout et en plein jour.
Dans la tribu lit­téraire, on rencontre une autre espèce mais celle- là à demi sauvage : je veux parler des écrivains. Ils sont très jaloux de leur liberté et assez farouches. On les montre au public dans ces grands zoos que les municipalités installent à intervalles régu­liers et qu’on appelle des salons du livre. En écri­vant moi-même, j’ai eu la chance d’en approcher quelques-uns de plus près et de les connaître en liberté. Deux d’entre eux, qui appartiennent aussi, il est vrai, à l’espèce plus sociable des jour­nalistes, m’ont fait l’amitié de me soutenir (NDLR: pour l’entrée à l’Académie).

Alfred de Montesquiou
Je ne connais pas assez Alfred de Montesquiou pour savoir s’il fait partie de ces gens “assez farouches et à demi-sauvage”…! Il n’en a pas donné l’air en tout cas lors de son séjour aux Sables d’Olonne.

Par contre, bien des éléments m’ont montré combien il souhaitait franchir le pas pour s’adonner à l’écriture, non plus seulement comme journaliste mais aussi comme écrivain.
Bien des signes permettent d’en être convaincu; d’abord, l’évocation de son admiration sans bornes pour l’oeuvre de Jean-Christophe Rufin, un auteur qui raconte le monde; ensuite le mal qu’il s’est donné pour achever ce roman qui lui a pris près de sept années, acceptant même de son éditeur une réduction du nombre de pages de 600 à 336…; l’argument avancé par le président du jury de choisir un lauréat susceptible de s’installer dans la carrière littéraire.

Alfred de Montesquiou – Prix Albert Londres 2012

 

Et enfin, ce qui me surprit le plus, en réponse à l’une de mes questions sur le Prix Albert Londres – le graal dans la profession de journaliste – qu’il reçut en 2012 pour ses reportages en Syrie et en Lybie, Alfred de Montesquiou me répondit que d’être lauréat du Prix du Livre de Plage avait pour lui une importance plus grande. Derrière cette réponse qui n’avait pas, à mon sens, valeur de comparaison qualitative, se cachait son souhait extrême d’embrasser la carrière d’auteur de romans et d’être reconnu en tant que tel.

Le passage du journalisme au roman
D’ailleurs, dans son discours lors de la remise des prix, Alfred de Montesquiou évoqua à plusieurs reprises l’intérêt de passer du mode journalistique – via un reportage, un récit – au roman, permettant sans scrupules d’ouvrir ces portes intimes qu’il est délicat d’évoquer dans d’autres situations.

Alfred de Montesquiou explique que ce roman, alors qu’il est journaliste depuis une vingtaine d’années, a changé sa vie. Il est d’autant plus touché, plus ému, que son livre ait été sélectionné qu’il s’agit là de son premier roman, même s’il a déjà écrit et fait paraître des récits.
Bien qu’il affirme que ce roman n’est “pas du tout un roman autobiographique“, il révèle cependant “qu’il comporte beaucoup d’éléments réels.”
Alfred, qui fut grand reporter, raconte l’histoire d’un jeune photographe un peu paumé, un peu ballotté part la vie, qui cherche ses origines, qui part en Syrie et qui rencontre un autre journaliste un peu plus rodé, cynique, que la guerre a déjà un peu buriné. C’est une histoire un peu picaresque, où ils sont transportés dans la clandestinité au Liban, traversant cette frontière invisible entre le monde normal, notre monde, et le monde de la guerre, le monde déjà mort ou des potentiellement morts à n’importe quel moment. Et c’est cette frontière à laquelle le titre du livre fait allusion.”

L’objectif central de L’Etoile des frontières est de raconter la guerre civile syrienne – vieille de dix ans et ayant entraîné la mort de 500.000 personnes ) – et de réfléchir, à travers l’histoire croisée d’un journaliste et d’un photographe, aux déclencheurs incitant à partir sur ces théâtres d’opérations guerrières et d’y vivre de nombreuses et dangereuses péripéties.
“C’est un livre qui est dédié à un de mes amis très proches qui s’appelle Olivier comme le héros du roman qui était mon photographe en Syrie et avec lequel je suis allé pas mal de fois, et qui est mort dans des circonstances très proches”.

Alfred de Montesquiou en dédicace aux Sables d’Olonne

 

Et il en vient alors à l’intérêt de l’écriture romanesque.
En tant que journaliste, Alfred de Montesquiou se sent frustré lorsqu’il fait face à des moments extraordinaires, des gens extraordinaires, car il a l’impression que tous ces souvenirs lui échappent comme des grains de sable très fins lorsqu’on tente de les retenir en les serrant fort dans une main.
“Mes souvenirs de reportage sont un peu comme ça. Et je n’ai pas eu envie que ces amis, ces gens tués là-bas, mais aussi ces personnages absolument extraordinaires que j’ai croisés, qui se sont battus pour la liberté, qui ont cru à la démocratie et qui en sont morts, que ces personnages là disparaissent comme de vieilles photos qui s’effacent”.

Pour lui, le roman est une manière de raconter le monde et de l’explorer autrement, “peut-être plus en profondeur, avec plus de liberté, et c’est vrai que je me suis dis que dans le fond ça me convenait, que c’était ma façon de voir les choses.”
Pour expliquer, qu’à ses yeux, le roman est le prolongement du reportage par d’autres moyens, lui vient soudain à l’esprit une phrase connue d’un grand officier prussien, fin stratège – Carl Philipp Clausewitz. Alfred le cite alors pour se convaincre que son explication est la bonne: “La guerre est le prolongement de la diplomatie par d’autres moyens »(NDLR: La phrase exacte est: « La guerre n’est que le prolongement de la politique par d’autres moyens. »)

La vraie différence pour Alfred de Montesquiou, entre le reportage et le roman est la possibilité avec ce dernier “de rentrer dans l’intimité des gens puisqu’on invente, puisqu’on se permet d’inventer là où on a envie d’inventer. Je ne partageais aucune intimité avec ces personnes que j’ai côtoyé en Syrie, parce que je parle mal l’arabe et qu’on était dans une zone de guerre; on n’était pas là pour faire de la psychanalyse. Avec le roman je peux les revisiter et explorer leur intimité.”

Alfred de Montesquiou conclut ainsi: “c’est un premier roman et vraiment on se sent tout jeune, tout tremblant, tout timide et très incertain. Mais ce fut très exaltant de faire ce livre, ça a été une profonde joie. Et ça valide mon envie d’écrire des romans et je vous en suis très reconnaissant. Merci beaucoup..”

Jean-Christophe Rufin et Alfred de Montesquiou

 

Le lendemain fut organisée une séance de dédicace sur le Remblai des Sables d’Olonne, face à la seule librairie sablaise qui peut se targuer d’avoir les pieds sur la plage. Le public vint nombreux et se montra fort intéressé par ce prix et les ouvrages des auteurs présents. Jean-Christophe Rufin dédicaça “La Princesse au petit moi.”

En ce qui me concerne, mon impression est qu’il y a, certes un lauréat, mais aussi quatre autres gagnants:
– le Prix du Livre de Plage, la Ville des Sables d’Olonne, les Editions Stock, et la langue et la littérature française.
En effet, c’est une chance pour la première édition d’un prix littéraire de pouvoir s’appuyer sur une oeuvre aboutie qui a obtenu une telle unanimité de la part du jury. Quant à la langue et à la littérature française, nous vous laissons découvrir les 336 pages de L’Etoile des frontières. Vous devriez être admirablement surpris.

En bas de page, en vidéo, la fin de l’intervention du lauréat lors de la remise des Prix

 

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Alfred de Montesquiou
Auteur de plusieurs récits, L’Étoile des frontières est son premier roman.
L’étoile des frontières
Ed. Stock – 336 pages – 20,90 €

Alfred de Montesquiou est né à Paris en 1978. Il est diplômé en sciences politiques de l’IEP de Paris, en philosophie de la Sorbonne et en journalisme de l’université de Columbia à New York. Il a travaillé de 2004 à 2010 pour l’agence Associated Press, d’abord au desk Europe-Afrique de Londres, puis comme correspondant ou envoyé spécial au Moyen-Orient, au Drafour, en Afghanistant et à Haïti.
Il a ensuite été reporter de guerre, basé au Caire, puis chef correspondant pour le Maghreb.
De 2010 à 2019, il est grand reporter pour le magazine Paris Match, couvrant les révolutions du Printemps arabe.
Il est lauréat du prix Albert-Londres 2012 pour ses reportages en Syrie et sur la révolution en Libye.
Fondateur de la société de production Dreamtime, il est l’auteur et/ou le réalisateur de plusieurs séries documentaires sur Arte et de plusieurs films pour France TV.
En 2013, il est lauréat du Prix Nouveau Cercle interallié pour son ouvrage Oumma, un grand récit de voyage à travers le monde arabo-musulman, du Maroc au Pakistan.
En Syrie, il était notamment en reportage avec Rémi Ochlik, reporter-photographe tué lors d’un bombardement à Homs au côté de la journaliste américaine Marie Colvin en février 2012.

Le jury, sous le parrainage de Jean-Christophe RUFIN, de l’Académie française, était composé de Christian Authier, journaliste et écrivain, Jean-Christophe Buisson, directeur adjoint de la rédaction du Figaro Magazine, Laurence CARACALLA, journaliste et critique littéraire, Jean-François DEJEAN, élu adjoint à la Culture de la Ville des Sables d’Olonne, Pierre DENIS, libraire aux Sables d’Olonne (librairie Les Fables d’Olonne), Aïda VALCEANU, organisatrice de rencontres littéraires, Nicolas Ungemuth, rédacteur en chef adjoint au Figaro Magazine.

 

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