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Les Sables d’Olonne : ce « Banc de la Mort » qui effrayait tous les marins !



Le dimanche 7 août 2016, un voilier immatriculé à Saint-Malo s’échouait – à marée basse – sur un un banc de sable invisible à l’entrée du chenal des Sables d’Olonne, juste devant la petite jetée. A l’heure des sondes, ce genre d’échouage est de plus en plus rare mais arrive encore régulièrement. Alors, certains, creusant dans leur mémoire, rappelèrent à l’envi ce qu’ils croyaient être « Le Banc de la Mort ». En fait, il n’en est rien, ou plutôt « Le Banc de la Mort » existe bien, cependant il n’est pas situé au pied de la petite jetée mais beaucoup plus loin. L’occasion pour Le Reporter sablais de rappeler quelques épisodes liés à ce fameux « Banc de la Mort » .

Echouage du 7 août 2016 – Mais ce n’était pas sur le « Banc de la Mort » !

Echouage Petite jetée - Les Sables d'Olonne
Echouage Petite jetée – Les Sables d’Olonne Photo : Gilles Roger

La presse, durant des décennies, s’est fait l’écho de plusieurs échouages mémorables sur le Banc de la Mort qui a mis à mal de nombreux navires ou chalutiers au début du 20ème siècle. Pourtant, en 1881, capitaines, pilotes et marins espéraient beaucoup du prolongement de la grande jetée sur une longueur de 112 mètres. Bien que cela réduisit certainement la dangerosité à l’entrée du port, cela n’a toutefois pas anéanti les échouages.

Une pétition envoyée au Ministre de la Marine pour étudier un prolongement supérieur pour la grande jetée
Bien avant la fin du 19ème siècle, on se préoccupait déjà du problème du « Banc de la Mort » . Pour preuve, le 6 janvier 1881, une pétition fut envoyée au Ministre de la Marine par les capitaines, pilotes, marins et commerçants des Sables d’Olonne, dont la teneur était d’abord la suivante :
« – Il y a encore peu d’années, le port des Sables d’Olonne n’était qu’une crique, dans laquelle les courants de flot et de jusant arrêtaient complètement l’essor de la navigation, en ne permettant les mouvements, même pour les navires de faible tonnage, qu’au moment de la mer étale.
– Aujourd’hui, cette situation est bien améliorée. les grands travaux qui ont été exécutés, bassin à flot et creusage du port, quais verticaux, barrages avec écluses, nous ont permis de constater, surtout depuis que Les Sables d’Olonne sont devenus tête de ligne de chemin de fer, que le mouvement commercial s’est élevé, en quelques années, de 50 à 120.000 tonnes.
– Dans le même laps de temps, nous avons vu également le nombre de bateaux de pêche s’élever de 250 à 500, dont 120 d’une jauge moyenne de 25 tonneaux sont armés de sept à neuf hommes d’équipage.

Puis, souhaitant attirer plus particulièrement l’attention du Ministre sur les grands travaux et l’accès au port dans l’intérêt de l’Etat et celui du commerce et de l’industrie de la pêche aux Sables d’Olonne, la pétition – datant, rappelons-le, de 1881 – poursuivait ainsi :
« – Dans le but de rendre l’entrée du port accessible par tous les temps, d’autres grands travaux sont en cours d’exécution : en ce moment, on prolonge de 112 mètres la jetée Ouest de l’entrée du port et déjà des blocs de pierre ont été coulés sur une longueur de 80 mètres.
– Avec cette nouvelle jetée, la barre et les coups de mer du « banc de la Mort » ne seront plus autant à redouter, mais tous les dangers de l’entrée du port n’auront pas disparu. En effet, à 80 mètres environ du point où s’établira le musoir qui doit terminer cette construction, il existe une roche qui a occasionné bien des sinistres et jeté le deuil dans un grand nombre de familles. Avant que l’on arrive à l’exécution de ce musoir, qui nécessitera de grands frais, nous venons vous prier, Monsieur le Ministre, de vouloir bien faire mettre à l’étude la question du prolongement de la jetée d’une longueur suffisante pour faire disparaître ce danger.

La pétition indique plus loin que le port des Sables d’Olonne « est déjà discrédité plus que de raison » du fait de ces difficultés d’accès et que si des travaux suffisants sont apportés pour assurer la sécurité dans la rade, alors de grands navires à destination des Sables d’Olonne, notamment ceux venant d’Amérique avec pétrole ou froment, n’iront plus « opérer leur déchargement à La Rochelle ou à Rochefort au grand détriment des négociants et des chemins de fer de l’Etat. »
De plus, mentionne aussi la pétition, « la barre et le banc de la Mort disparaîtraient complètement (et) la rade offrirait un abri aux bâtiments légers et aux bateaux de pêche qui, par mauvais temps, cherchent un refuge dans notre port et qui, arrivant au moment de la basse mer sont quelquefois obligés, faute d’eau et d’abri, de reprendre le large et de s’exposer à de nouveaux dangers. »

Le « banc de la Mort » continua ses méfaits
En 1930, on considère que le Banc de la Mort n’est « plus un danger pour la navigation » (…) et que l’écueil le plus dangereux est alors le banc de rochers du Nouch et du Noura. La Ligue Maritime Vendéenne demandait alors l’arasement de ce banc de rochers. En fait le « banc de la Mort » continua ses méfaits, peut-être de manière moins dangereuse, mais les continua tout de même. La preuve en est cette liste – non exhaustive – d’échouages entre 1926 et 1959.

Le 21 janvier 1926, dans l’après-midi, par suite de fortes brises de vent de Nord, plusieurs bateaux qui cherchaient l’entrée du port des Sables se sont échoués dans le chenal et ont subi diverses avaries. Le bateau « Charles-Aimé » – patron Macouin – s’est échoué sur les rochers à côté de La Chaume et a eu un bordé de crevé. Le cotre « Drapeau du sacré-Coeur » s’est échoué sur le « Banc de la Mort » et lorsqu’il a pu flotter, il a été mis sur les cales de chantiers de Construction car il faisait beaucoup d’eau. Plusieurs bateaux ont également eu (du fait de la tempête) des avaries de mâture ou de gouvernail (….).
Une doléance, rédigée par le rédacteur et venant sans doute des marins exposés, fut alors faite à l’endroit des Ponts et Chaussées : « Il serait désirable que l’administration des Ponts et Chaussées évite de faire des chasses d’eau les jours de mauvais temps (NDLR : il existait alors un pont des Écluses (un pont-vanne) sur la Vertonne qui fut construit en 1850) car si le courant n’avait pas été si violent, il est plus que probable que tous ces bateaux auraient pu regagner le port sans avaries. »

Le 12 avril 1926, « Le bateau de pêche « Mon Bien-Aimé » , du port des Sables, revenait de la pêche au chalut et voulant rentrer dans le port, a eu une saute de vent qui l’a mis dans l’obligation de mouiller son ancre. Le courant l’a entraîné sur le « banc de la Mort » où il a touché par l’arrière. Etant dans l’impossibilité de se sauver à l’aide du canot, l’équipage a appelé au secours à l’aide de la corne de brume. Bientôt d’autres bateaux arrivaient. Parmi eux le dundee « Admirable » , patron Simon Berthomé (NDLR : il s’agit en fait d’André Berthomé, sous-patron), qui ne put accoster et alla demander de l’aide. Un canot à moteur vint, monté par Séraphin Mornet, patron du bateau de sauvetage « Darius Vigier Fils » ; enfin arriva la baleinière de sauvetage (NDLR: dont le nom est « Duc et Duchesse Decrés » ) montée par sept hommes, commandée par Pierre Galais (NDLR : d’autres sources indiquent Henri Calais). Le bateau faisant eau de toutes parts fut abandonné par l’équipage qui se réfugia à bord de la baleinière de sauvetage. La barque est (désormais) au bout de la petite jetée des Sables, dans un bien piteux état. Les sauveteurs reçurent des « témoignages de satisfaction » officiels.*** (Note de bas de page).

– Le 20 février 1927 au soir, vers deux heures, le dundee « Benoit-Suzanne » , bateau de pêche – patron Orsono Benoit – rentrant au port des Sables d’Olonne, par mer trop basse et n’ayant pas pris l’entrée du port assez au large, est allé s’échouer sur le banc de la mort. Un des pilotes du port, Alain Navec, prévenu aussitôt, est allé à son secours et a pu le tirer de sa fâcheuse position, avant qu’il subisse des avaries. Le bateau fut cependant ensuite mis sur cale pour examen.


« Le Banc de la Mort », un banc de sable ou de roches ?? – Etat du port

Si le banc formé au pied de la petite jetée semble être un banc de sable constitué par la présence du radier (base-support de la petite jetée), la presse donne en 1927 une toute autre composante pour le vrai « Banc de la Mort » , le témoignage d’avril 1926 faisant déjà état de l’existence d’un récif, c’est-à-dire d’une chaîne de rochers.

Dans une parution de L’Ouest-Eclair du 14 octobre 1927, nous apprenons qu’une marée de fort coefficient – 118 « une marée si basse, favorisée par le vent d’Est, telle qu’on en voit bien rarement » – a incité les autorités à faire un contrôle du chenal « pour se rendre compte de l’état du port » . En attendant les résultats de la Commission du Port déléguée sur place pour faire les investigations, le rédacteur de l’époque a fait les constats suivants :
« nous avons d’abord constaté, nous étant rendu sur la jetée de La Chaume, combien peu large était le chenal, une dizaine de mètres tout au plus. »
– à l’entrée du chenal, on aperçoit fort bien, à gauche, un banc de roches dit « banc de la mort », tellement il peut, par certains vents, être dangereux, et, à droite, un autre banc constitué par de la vase et des cailloux, ce qui laisse aux gros vapeurs s’engageant dans le chenal, une passe à peine suffisante pour passer, une passe qui se rétrécit de plus en plus. »
– « (…) les risbernes (NDLR : ouvrage de consolidation d’un mur), en un certain point, à la hauteur de la Villa Chailley, s’écroulaient littéralement dans le chenal. »
– « le bassin à flot nous est apparu aux trois quarts à sec, sous la forme de dunes vaseuses, alors qu’une fois le radier franchi, les navires devraient pouvoir y manoeuvrer en eau profonde ! »
– « le quai sud du bassin à flot est littéralement envahi par la vase, une vase gluante, épaisse, où les navires, en se posant, font de véritables souilles. L’accostage, du côté des établissements Blangy, va devenir difficile, étant donnée la boue de vase qui s’étend parallèlement à ce quai, et c’est cependant là qu’accostent les charbonniers. »
– « le port de pêche nous est apparu encombré, bouché presque par un énorme banc de vase et un encochement formant une hauteur d’un mètre cinquante environ. Ce banc, d’année en année, gagne de l’étendue ; partant de la hauteur de la cale de la Poissonnerie, il arrive maintenant à la hauteur de la caserne des Douanes ! »
– « en revanche (…) le gril de carénage, jadis engluée par la boue, était en excellent état de propreté. »

En conclusion, le rédacteur s’inquiète – en 1927 – de l’état du port : « D’une façon générale, on peut dire que le port, le bassin à flots sont tellement envasés, le chenal devenu si étroit qu’il faut exécuter au plus tôt des travaux pour permettre aux navires d’y entrer, d’y manoeuvrer sans dommages et même sans risques de s’échouer. Un jour ou l’autre, dans le bassin à flot, un navire s’échouera, et ce sera là, un comble ! La drague « Irvine » est en service en tête du chenal ; elle fait ce qu’elle peut, mais c’est une drague d’une autre puissance qu’il faudrait lui adjoindre pour lutter contre l’envasement du port et du bassin à flot, contre l’action des sables de la plage qui viennent insensiblement s’amonceler à l’entrée du chenal. »

8 mars 1928 – de 8h à 9h, la sirène de brume s’est fait entendre. En mer, en effet, la brume était intense et il fallait prévenir les pêcheurs qui auraient pu à leur rentrée manquer l’entrée du bord et être portés sur le fameux « banc de la mort«  qui s’étend non loin de l’entrée de la jetée.

Le 19 mars 1931, vers 21h, le dundee « Petite-Arlette » , n°612 du port des Sables – armateur et patron Pierre Chanier demeurant au 26 rue des Fusilliers-Marins à La Chaume – et dont l’équipage comprend quatre hommes, s’est échoué à l’entrée du port « sur le banc de la Mort, alors qu’il cherchait à rentrer dans le chenal. Le dundee fut renfloué dans la nuit, à 3 heures du matin, par l’équipage du bateau de sauvetage qui le conduisit aussitôt sur les cales de construction pour vérification de sa coque. »

Le 23 mars 1932, à 20h30, le dundee de pêche « Félix-Victoire », du port des Sables – patron Félix Roux – qui rentrait de La Rochelle, a touché, à l’entrée de l’avant-port et a été chassé sur le « Banc de la Mort » , où il est resté échoué. Ce n’est qu’à 1h30 du matin avec le secours de MM. Lecarrour, Garnier et Tessier, pilote, et Couton, avec leurs pinasses, que le bateau de Félix Roux a pu être renfloué et conduit sur les cales de construction pour réparer ses avaries.


Oui, le « banc de la Mort » continuait ses méfaits. Pour preuve des exercices de sauvetage avait pour cadre celui-ci.

Des exercices de sauvetage sur le « banc de la Mort »
Le 23 août 1929 eurent lieu des exercices de démonstration de sauvetage en rade, près de la petite jetée avec le nouveau bi-moteur Les Sables d’Olonne et le poste de lance-fusées. Une foule énorme s’était massée tant sur le Remblai, la jetée que sur la plage pour assister à ces exercices intéressants. La nuit empêcha les spectateurs de se rendre compte exactement de ce qui se passait, toutefois les exercices prévus furent accomplis comme ils étaient annoncés au programme. A 22h eut lieu ensuite au Grand Casino la projection de films intéressants concernant la marine et les sauvetages. Le public nombreux qui se pressa à cette représentation, apprécia vivement les efforts faits et démontrés par l’image par la Société centrale de sauvetage des naufragés.
Dans le cadre des démonstrations de sauvetage en rade des Sables d’Olonne, « un bateau avait été « mouillé » sur le « banc de la Mort » et le canot devait lui porter secours de même qu’un système de va-et-vient devait être établi pour transborder les hommes d’équipage » .

Cela montre combien ce « banc de la Mort » était au coeur des préoccupations en matière de sauvetage. En 1959, un article de presse confirme que le « banc de la Mort » a encore frappé…

Un cargo s’échoue sur le Banc de la Mort en 1959
On découvre encore d’autres témoignages, beaucoup plus tard, en 1959. Ainsi, cette année-là, c’est un cargo allemand, le Komtur, qui s’est échoué sur le « Banc de la Mort.«  Un cliché « Ouest-France » a alors été pris, ce qui permet de situer le banc par rapport à la petite jetée. Le cargo rentrait au port avec un chargement de 1950 tonnes de charbon venant de Russie. Le capitaine avait cru pouvoir s’avancer seul, sans l’aide du pilote. Il fut remorqué à la marée suivante par le « Fée des Iles » – patron Florent Mornet.
(photo ci-dessous)
Philippe Brossard-Lotz
Le Reporter sablais
(Sources : L’Ouest-Eclair)

1959 - Banc de la Mort - Les Sables d'Olonne
1959 – Banc de la Mort – Les Sables d’Olonne


Note : ***
Les 7 hommes de l’équipage de la baleinière, qui reçurent un « témoignage de satisfaction » officiel de la part des autorités, étaient Henri Calais 39 ans, sous-patron, Noël Jouneau 49 ans, Clovis Cosson 46 ans, Orson Neau 42 ans, Pajot 28 ans, Ernest Kirié 18 ans, Pierre Mage 18 ans. Ils « se sont portés, le 12 avril 1926, à bord de la baleinière de sauvetage Duc et Duchesse Decrés au secours du cotre de pêche « Mon Bien-Aimé » qui avait talonné le récif dit Banc de la Mort, à l’entrée du port des Sables d’Olonne ; sont parvenus à accoster le cotre naufragé, à recueillir l’équipage et à le ramener sain et sauf à terre. »
Quant aux 6 hommes de l’équipage du dundee « Admirable » , ils obtinrent également un « témoignage de satisfaction » officiel : « Darius Vigier 32 ans, armateur du canot, Séraphin Mornet 50 ans, patron du canot de sauvetage, André Berthomé 43 ans, sous-patron du bateau de sauvetage, Donatien Retureau 48 ans, canotier, Clovis Delaunay 37 ans, Noémi Merlen 26 ans « se sont portés, le 12 avril 1926, à bord du canot à moteur « Admirable » au secours du cotre de pêche « Mon Bien Aimé » , échoué à l’entrée du port des Sables d’Olonne ; se sont efforcés, alors que les naufragés étaient recueillis par le canot de sauvetage, de renflouer le navire. »



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